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Cette faveur ne fit que s’accroître pendant les vingt-deux représentations qui eurent lieu alors, et c’est avec une salle comble qu’elles se terminèrent. Tout cela n’est rien encore cependant en comparaison du succès de cette année ; et vraiment ce fut une fête de l’art que la première de Lohengrin à la Pergola ! Jamais, je l’avoue, je n’ai vu un public qui autant que celui-là fiit absolument tel qu’un musicien poète comme Wagner eut pu le désirer. Pour tout dire, il réunissait deux qualités, qui généralement s’excluent : la finesse du goût et la naïveté. Ce dernier mot fera peut-être rire. On aura grand tort, car je le dis franchement, c’est là une des qualités les plus rares à l’Opéra, et pourtant elle seule pourrait amener une rénovation du genre[1] Nos gens du monde et nos gens d’esprit sont généralement blasés ; ils sont devenus incapables de sentir. S’ils applaudissent, le plus souvent, c’est par esprit de tendance ou par pose. Comment l’artiste peut-il oser s’adresser simplement au cœur, comme il le faudrait pour faire véritablement de l’art, quand il pense que tels seront ses juges ? — Je crois donc faire au public de la première représentation de Lohengrin à la Pergola, le plus grand des éloges en disant, que, bien qu’il comptât ce que Florence a de plus distingué par la naissance et l’intelligence, c’était un public, qui jouissait du chef-d’œuvre de Wagner avec la belle naïveté d’un en-

  1. C’est là précisément l’idée qui a inspiré Lohengrin. C’est parce qu’Elsa n’est plus naïve devant son époux que celui-ci lui échappe ; et c’est au défaut de naïveté du public que Wagner attribuait, en 1846, ses insuccès.