Parle, et que dans nos cœurs ton appel retentisse !
Dis-nous qu’il faut toujours avoir faim de justice,
Toi dont le pauvre a toujours faim !
Dis-nous qu’en allégeant la commune souffrance,
Nous devons préparer le jour de délivrance
Où nul ne manquera de pain !...
« J’étais, nous diras-tu, la semence enfouie
Dans le champ vaste et nu que défonce la pluie,
Que soufflette le vent glacé ;
Lentement je grandis ; je me gonflai de sève ;
Je portai mes fruits d’or ; mais la gloire en fut brève :
La faux sifflante avait passé.
« Pourtant je survécus par une force étrange.
Moissonné, flagellé, je languis dans la grange ;
J’étouffai dans un sac trop plein.
On me porta, plus tard, au bord de la rivière ;
Et là je fus broyé par une lourde pierre
Qui tournait au chant du moulin.
« Il ne resta de moi qu’une fine poussière.
Mais ma force brisée y sommeillait entière,
Et je rêvais, calme, attendant,
Lorsqu’un être inconnu, m’ayant pris à poignées,
Mouillé, pétri, malgré mes plaintes indignées,
Me plongea dans un four ardent.
« Je palpitai d’horreur sur la pelle rougie
Où s’évanouissait ma dernière énergie ;
Cette fois, j’étais bien dompté :
Je mourus... Mais le souffle embrasé de la flamme
En moi sut éveiller, ô merveille ! une autre âme,
Et soudain je ressuscitai !
« Alors je fus le pain qui donne à tous la vie ;
Et c’est joyeusement que je me sacrifie,
Car en toi, peuple, je vivrai.
Ton sort ressemble au mien, je veux qu’il s’accomplisse ;
On t’a fauché, broyé, meurtri ; mais ton supplice
Enfantait l’avenir sacré.