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Du jour au lendemain m’être ainsi transformée…
Aimer si promptement en me sachant aimée…
Avoir mon chevalier, comme dans les romans,
Et connaître l’amour tel que nos grand’mamans,
Allongeant un pied fin, roulant un œil de carpe,
Bras plié, pied tendu, le chantaient sur la harpe !
Et je me figurais qu’il n’en existait plus
De ces amours d’antan, bons petits dieux perclus ;
Qu’aujourd’hui dédaigné par la foule incrédule,
Cupidon n’était plus qu’un sujet de pendule !

Ah ! sotte, qui croyais bien voir et bien juger !
Non ! les ans peuvent fuir et les modes changer ;
Mais sous la robe Empire ou le veston moderne,
Nos simples cœurs humains, quand l’amour les gouverne,
Battent, toujours pareils, d’un pareil mouvement,
Que l’on soit « fin de siècle » ou bien « commencement » !

Et je laissais ainsi flotter mes rêves vagues
En revenant tantôt, parmi l’azur des vagues,
Des îles de Lérins, à l’heure où le soleil
Derrière l’Estérel, comme un globe vermeil,
S’enfonce lentement et disparaît dans l’ombre.
Notre bateau fendait le flot déjà plus sombre ;
Des mouettes sur nous voltigeaient en criant ;
Cannes, dans le lointain pittoresque et riant,
Étageait sous nos yeux son cirque de collines ;
Très insensiblement, en grises mousselines,
La nuit tombait, tranquille et sereine ; un vent frais
Passait, en emportant nos beaux, nos chers secrets ;