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D’avoir été depuis si longtemps paresseux !
On s’installe à sa table, on rêve, on pense à ceux
De là-bas, aux amis qui sont restés at home
N’ont-ils pas eu raison ? Imperceptible atome
Pour qui tout est effort, anxiété, danger,
L’homme, au fond, n’est-il pas un sot de voyager ?
De s’en aller courir les cités étrangères,
Se barbouiller l’esprit d’images passagères,
Quand il peut, au logis, tranquille près du feu,
Rien qu’en regardant vivre, en lisant quelque peu,
Apprendre autant, savoir autant et, sans secousse,
Mener parmi les siens une existence douce ?

Que triste est cette chambre avec ses carreaux gris
Tout ruisselants de pluie, et ses rideaux flétris
Par tant et tant de mains, et depuis tant d’années !
Triste, avec son lit mince, aux courtines fanées,
Avec ses meubles las du contact répété
D’une cosmopolite et terne humanité ;
La chambre à tout le monde, enfin, la chambre vague
Où, telle qu’une vague après une autre vague,
Succède, d’un élan qui n’est jamais lassé,
Le voyageur qui passe au voyageur passé…
Chambre mélancolique où l’on n’est plus soi-même ;
Où, loin des bibelots familiers que l’on aime,
On se sent seul, perdu, vulgaire numéro
Selon l’étage pris s’augmentant d’un zéro ;
Molécule que suit une autre molécule ;
Pauvre être détraqué qui circule, circule
Toujours, pour fuir l’ennui de vivre, ennui fatal…