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INTRODUCTION




Ce néant, cette nuit éternelle qui suit l’homme après sa mort : l’idée affligeante que son nom, ses vertus, les services qu’il a rendus à sa partie, à la société tout entière, peuvent rester ignorés des générations futures et de point être pour elles un sujet d’émulation, firent naître chez les nations le besoin de couvrir les restes mortels d’un chef de peuplade, d’un guerrier, d’un législateur, d’un sage, de monumens durables qui pussent perpétuer leur souvenir et rappeler leurs titres à l’admiration comme à la reconnaissance publique. Selon les siècles, les nations, le degré de civilisation des peuples, ces monumens eurent des physionomies différentes. Nous nous occuperons seulement ici de ceux que la France a vu s’élever sur son sol.

Dans les premiers âges, ces monumens furent simples comme les peuples qui les créèrent. Un ménir, ou pilier brut, autrement dit une pierre levée, tantôt posée sur sa base naturelle, fichée sur sa pointe ; ensuite un lécumène, formé de deux piliers semblables, peu distans l’un de l’autre, laissés isolés ou plus souvent réunis par une pierre formant une espèce d’achitrave ; puis un dolmine, composé de deux ou plusieurs grandes pierres plates, posée de champ, parallèlement, et sur lesquelles repose une autre pierre plate formant table, ou servant de couverture à une espèce de chambre ou de caveau, selon le nombre des murailles ; enfin des colonnades formées de lecamènes allignés, traçant un cercle ou un ovale, quelquefois un carré, sont les premiers signes ostensibles qui distinguent les sépultures des nations qui habitèrent la Gaule.

À ces décorations lapidaires, dépourvues de toute inscription, de tout ornement, succédèrent d’immenses cônes en terre rapportées, recouverts de gazons qui, plus tard, rassemblés dans des espèces de lieux consacrés, donnèrent naissance aux collines, espèces de champs de repos où des milliers de tertres semblables couvrent les restes d’antiques populations.

Avec la civilisation et les arts qui viennent à sa suite, ces signes extérieurs de la religion des tombeaux se modifièrent et prirent des formes plus régulières, plus élégantes, surtout après que les Romains eurent rendu témoins de leur faste monumental les peuples qu’ils subjuguèrent. Alors la simple pierre levée s’équarrit, s’aplatit, devint circulaire vers le haut, reçut une inscription, et, offrit alors un véritable souvenir du personnage dont elle était appelée à perpétuer la mémoire. Le ménir, reposant sur sa pointe, se transforma en hermès, en cippe, en colonne, qu’on surmonta d’une urne ou d’un buste : retourné, taillé, ce ménir fut un obélisque. Le lécamène prit la forme d’un riche portique orné de membres d’architecture. Le caveau, construit de cinq pierres gigantesques, en acquérant de la régularité, du développement dans son plan, dans son élévation, fut alors une véritable chambre sépulcrale dont l’entrée cessa d’être interdite à jamais. Les dolmines continus se retrouvèrent dans ces arcades symétriques et non interrompues qui, pendant plusieurs siècles, bordèrent nos cimetières, et sous lesquelles étaient rangés les monumens funéraires des familles distinguées et opulentes de nos citées ; enfin le cône de terre devint une pyramide en pierre, qui témoigna par sa dimension du mérite ou de l’importance du personnage dont elle couvrait les restes, ainsi que l’avaient fait les autres monumens que nous avons cités. Mais, il faut le dire, ces monumens des premiers âges, qui nous étonnent par la hardiesse sauvage de leur masse, perdirent, en se modifiant après la conquête des Gaules, de leur caractère imposant et merveilleux ; ils cessèrent d’être en état de pouvoir braver la succession des siècles et les outrages des hommes, et, à mesure que le luxe et l’ostentation les multiplièrent, ils devinrent de plus en plus chétifs et destructibles.

Lorsque Clovis eut embrassé le christianisme, les signes extérieurs disparurent presque partout de dessus les tombeaux. Enterrés dans des lieux retirés, soit dans le sein de carrières exploités, impénétrables à la lumière, soit dans des champs fermés situés près des églises, les fidèles n’eurent d’abord aucun autre signe sur leur tombe que leur nom, la date de leur naissance et celle de leur mort, et c’était là le seul registre qui constatât leur passage sur cette terre. On y ajoutait, pour quelques-uns, une croix, ou le monograme du Christ tracé sur une pierre lisse. Mais quand l’église eut affermi sa puissance, ce primitif mépris des vanités de ce monde s’affaiblit peu à peu, la vénération pour des reliques saintes, la reconnaissance due à des princes protecteurs de la religion, fournirent l’occasion d’élever quelques monumens. Ces monumens furent, le plus souvent, des chapelles bâties pour recevoir les restes de quelque martyr de la foi, dont elles prenaient le nom, et pour servir aussi de sépulture à leur fondateur. Par suite, tous les bienfaiteurs des églises, les princes, les prélats, les grands dignitaires, obtinrent pour eux d’abord, puis pour les leurs une place auprès des reliques saintes ; enfin la flatterie, l’orgueil, la richesse, parvinrent à s’approprier un privilège qui aurait dû être celui de la seule vertu. Par suite de cet abus, nous avons vu, dans le dernier siècle, tous les caveaux, les chapelles hautes et basses, les piliers de nos églises, encombrés d’une foule de monumens funéraires, et le sol même des temples transformé en véritable cimetière.

Parmi cette quantité innombrable de sépulture privilégiées, les monumens somptueux furent rares. Nous allons passer en revue ceux qui, dans chaque siècle, eurent de la célébrité, et indiquer les changemens successifs qui s’introduisirent dans leur forme comme dans leur décoration.

L’usage des chrétiens d’enterrer leurs morts sans placer de signes extérieurs sur leur tombe s’étant prolongé fort long-tems, et le peu de monumens qui furent élevés alors ayant presque tous été pillés et détruits par les barbares