Si quelque génie malicieux s’amusait une nuit à rendre mille fois plus lents tous les phénomènes de l’Univers, nous n’aurions aucun moyen de nous en apercevoir à notre réveil et le monde ne nous paraîtrait pas changé. Et pourtant chacune des heures marquées par nos horloges durerait mille fois plus qu’une des heures anciennes. Les hommes vivraient mille fois plus longtemps, et n’en sauraient rien, car leurs sensations seraient ralenties d’autant.
Lorsque Lamartine s’écriait : « Ô temps, suspends ton vol ! » il proférait une chose charmante, mais qui n’était peut-être qu’une niaiserie. Si le temps avait obéi à cette objurgation passionnée, à cet ordre, — les poètes ne doutent de rien ! — Lamartine et Elvire n’eussent pu le savoir ni en jouir. Le batelier du lac du Bourget qui promenait les deux amoureux, n’eût réclamé le paiement d’aucune heure supplémentaire ; et pourtant il aurait, de ses rames, frappé bien plus longtemps les flots harmonieux.
Si j’ose résumer tout cela d’un mot moins paradoxal qu’il ne semblera à première vue : aux yeux des relativistes ce sont les mètres qui créent l’espace, les horloges qui créent le temps.
Tout cela, Poincaré et d’autres l’ont soutenu bien longtemps avant Einstein, et c’est faire tort à la vérité que de le lui attribuer. Je sais bien qu’on ne prête qu’aux riches, mais c’est aussi faire injure aux riches que de leur prêter ce dont ils n’ont que faire, ce dont ils n’ont pas besoin pour être riches.