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MÉTAMORPHOSES DE L’ESPACE ET DU TEMPS.

l’autre une altération… Par conséquent, les mouvements peuvent être autres et se produire indépendamment l’un de l’autre ; de part et d’autre, le temps est absolument le même. » Cette définition aristotélicienne du temps physique date de plus de deux mille ans. Elle représente avec beaucoup de clarté l’idée de temps telle qu’elle a été acceptée jusqu’à ces toutes dernières années par la science classique, en particulier par la mécanique de Galilée et de Newton.

Pourtant il semble qu’en face d’Aristote, Épicure déjà ait esquissé l’attitude qui plus tard opposera Einstein à Newton. Voici en effet ce qu’écrit Lucrèce exposant la doctrine épicurienne :

« Le temps n’existe pas par lui-même, mais par les objets sensibles seuls, dont résulte la notion de passé, de présent, d’avenir. On ne peut concevoir le temps en soi et indépendamment du mouvement ou du repos des choses[1]. »

En fait, l’espace ainsi que le temps ont été considérés par la science depuis Aristote comme des données invariables, fixes, rigides, absolues. Newton ne pensait rien dire que d’évident et de banal lorsqu’il écrivait dans son célèbre Scholie : « Le temps absolu, vrai et mathématique pris en soi et sans relation à aucun objet extérieur, coule uniformément par sa propre nature… L’espace absolu, d’autre part, indépendant par sa propre nature de toute relation à des objets

  1. Lucrèce, De Natura Rerum, liv. I, vers 460 et suiv.