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PSYCHOLOGIE DE L ÉGOTISME

dice d’un profond désordre organique qui ne se révèle jamais par une folie unique. Une idée fixe n’existe jamais isolément[1]. Elle est toujours accompagnée aussi d’autres irrégularités de la pensée et du sentiment qui, il est vrai, n’apparaissent pas tout de suite au regard fugitif aussi nettement que le délire particulièrement développé. L’observation clinique récente a découvert une longue série de semblables idées fixes ou « monomanies », et constaté qu’elles sont toutes la conséquence d’une disposition fondamentale de l’organisme : la dégénérescence de celui-ci. Il était inutile que Magnan donnât un nom particulier à chaque symptôme de dégénérescence et fît défiler la série presque comique des « phobies » et « manies » : l’agoraphobie (peur des espaces), la claustrophobie (peur des espaces fermés), la roupophobie (peur de la saleté), l’iophobie (peur du poison), la nosophobie (peur de la maladie), l’aichmophobie (peur des objets pointus), la bélénophobie (peur des aiguilles), la cremnophobie (peur des abîmes), la trichophobie (peur des cheveux), l’onomatomanie (folie des mots ou des noms), la pyromanie (folie incendiaire), la cleptomanie (folie du vol), la dipsomanie (folie de la boisson), l’érotomanie (folie amoureuse), l’arithmomanie (folie des nombres), l’oniomanie (folie des achats), etc. On pourrait allonger à plaisir cette liste et l’enrichir à peu près de toutes les racines du dictionnaire

  1. Lisandro Reyes a bien vu cela dans son utile étude intitulée Contribution à Vétude de l’état mental chez les enfants dégénérés. Paris, 1890, p. 8. Il établit expressément que chez les enfants dégénérés il n’y a pas de « monomanie » réelle exclusive : « Chez eux, une seule idée délirante peut persister pendant quelque temps, mais le plus souvent elle est remplacée tout à coup par une nouvelle conception ».