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FIN DE SIÈCLE

l'on n’aille pas s’imaginer qu’elles ont toujours existé, mais qu’elles ont passé inaperçues. Si elles étaient apparues quelque part, on aurait bien su les reconnaître, car alors même que les théories régnant en médecine aux diverses époques étaient erronées, il y a toujours eu des médecins perspicaces et attentifs qui ont su observer. Si donc on ne remarqua pas les nouvelles maladies nerveuses, c’est que précédemment elles n’apparaissaient pas. Et elles sont exclusivement une conséquence des conditions d’existence actuelles de l’humanité civilisée. Maintes affections du système nerveux portent déjà une dénomination qui implique qu’elles sont une conséquence immédiate d’influences de la civilisation moderne. Les noms de « railwayspine » (moelle épinière-chemin de fer) et de « railwaybrain » (cerveau-chemin de fer), que les pathologistes anglais et américains ont donné à certains états de ces organes, montrent qu’ils leur reconnaissent pour cause les commotions que le voyageur subit perpétuellement ou accidentellement en wagon. Le fort accroissement de la consommation des narcotiques et des stimulants, qui a été démontré plus haut par des chiffres, a également sa source incontestable dans l’épuisement des contemporains. Il y a là un désastreux cercle vicieux d’actions réciproques. Le buveur (et vraisemblablement aussi le fumeur) engendre des enfants affaiblis, héréditairement fatigués ou dégénérés, et ceux-ci boivent et fument à leur tour, parce qu’ils sont fatigués, aspirent à une excitation, à un instant de factice sentiment de vigueur ou à l’apaisement de leur excitabilité douloureuse, puis ensuite, par faiblesse de volonté, ne peuvent résister à leur habitude lorsqu’ils ont