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DIAGNOSTIC

Contre le fou et le demi-fou délirant rebondit toute démonstration de l'absurdité de ses aperceptions ; nulle contradiction, nulle raillerie, nul mépris ne le touchent ; l’opinion de la majorité lui est indifférente ; les faits qui ne sont pas à son «gré, il les ignore ou les interprète de telle sorte qu’ils semblent venir en aide à son délire ; les obstacles ne l'effraient pas, parce que, contre la puissance de son délire, son instinct de conservation même est incapable de lutter, et en vertu de la même raison il est très souvent prêt à aller pour eux jusqu’au martyre. Des faibles d’esprit ou des déséquilibrés, en contact avec un délirant, sont immédiatement subjugués par la puissance de ses idées pathologiques et s’y convertissent aussitôt. Parfois il est possible de les guérir de ces délires transmis, en les séparant de ceux qui les ont provoqués ; mais souvent aussi le trouble mental survit à la séparation même.

Telle est l’histoire naturelle des écoles esthétiques. Un dégénéré proclame, sous l’effet d’une obsession, un dogme littéraire quelconque, le réalisme, la pornographie, le mysticisme, le symbolisme, le diabolisme. Il le fait avec une éloquence violente et pénétrante, avec surexcitation, avec un manque d’égards furibond. D’autres dégénérés, hystériques, neurasthéniques, se réunissent autour de lui, reçoivent le nouveau dogme de sa bouche, et vivent à partir de ce moment pour le répandre.

Dans ce cas, tous les intéressés sont de bonne foi : le fondateur comme les disciples. Ils agissent comme ils doivent agir, étant donné l’état maladif de leur cerveau et de leur système nerveux. Mais ce tableau, tout à fait clair au point de vue clinique, est généralement embrouillé