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FIN DE SIÈCLE

tiques, la dévotion exagérée, etc. [1] ». Je ne veux pas multiplier ici les témoignages et citations. Dans les chapitres suivants, où il sera question de l’art et de la poésie mystiques du jour, je trouverai l’occasion de montrer au lecteur qu’entre ces tendances et l’exaltation religieuse que l’on observe chez presque tous les dégénérés et aliénés héréditaires, il n’y a pas de différence.

J’ai énuméré les traits les plus saillants qui caractérisent l’état mental du dégénéré. Le lecteur peut maintenant juger par lui-même si le diagnostic « dégénérescence » est applicable ou non aux promoteurs des nouvelles tendances esthétiques. Que l'on n’aille pas croire, d’ailleurs, que dégénérescence est synonyme de manque de talent. Presque tous les observateurs qui ont examiné beaucoup de dégénérés établissent expressément le contraire. « Il ne faut pas oublier », dit Legrain, « que le dégénéré peut être un génie. Un esprit mal équilibré est susceptible des plus hautes conceptions, tandis que parallèlement on rencontre dans le même esprit des mesquineries, des petitesses qui paraissent d’autant plus manifestes, qu’elles siègent à côté des qualités les plus brillantes [2] ». Cette réserve, nous la trouverons chez tous les auteurs qui ont fourni des contributions à l’histoire naturelle des dégénérés. « Ils peuvent », dit Roubinovitch, « atteindre un développement considérable au point de vue intellectuel, mais au point de vue moral leur existence est complètement déséquilibrée. Un dégénéré... emploiera ses facultés brillantes aussi bien pour servir une grande

  1. Henri Colin, op. cit., p. 154.
  2. Legrain, op. cit., p. 11.