Page:Nordau - Dégénérescence, tome 1.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— VII —

dans l’art et la littérature, le plus possible d’après votre méthode, et de prouver qu’elles ont leur source dans la dégénérescence de leurs auteurs, et que ceux qui les admirent s’enthousiasment pour les manifestations de la folie morale, de l’imbécillité et de la démence plus ou moins caractérisées.

Ainsi, ce livre est un essai de critique réellement scientifique, qui ne juge pas une œuvre d’après les émotions qu’elle éveille, émotions très contingentes, capricieuses et variables selon le tempérament et la disposition d’esprit de chaque lecteur, mais d’après les éléments psychophysiologiques qui lui ont donné naissance ; — et il tente en même temps de combler une lacune qui existe encore dans votre puissant système.

Quant aux conséquences qu’aura pour moi mon initiative, je n’ai pas de doute à leur sujet. Il est aujourd’hui sans danger d’attaquer l’Église, car elle ne dispose plus de bûchers ; il n’y a pas grand péril non plus à écrire contre les gouvernants et les gouvernements, car on risque au pis-aller d’être emprisonné, et l’on a comme compensation la gloriole du martyre. Mais fâcheuse est la destinée de celui qui a l’audace de signaler les modes esthétiques comme des formes de décomposition intellectuelle. L’écrivain ou l’artiste visé ne pardonne jamais qu’on ait reconnu en lui un aliéné ou un charlatan ; la critique à hâblerie subjective est furieuse qu’on lui prouve combien elle est superficielle et incompétente, ou de quelle façon lâche elle nage avec le torrent ; et le public lui-même est irrité qu’on le force à voir qu’il emboîte le pas derrière des fous, des arracheurs de dents et des saltimbanques, comme si c’étaient des prophètes. Or, les graphomanes et leurs gardes du corps critiques