mais ne produit rien. L’état de la science au xviiie siècle ne permettait pas aux encyclopédistes de mettre utilement en activité leur appareil logique. Mais ils ne le remarquèrent pas, et construisirent, inconsciemment téméraires, à l’aide de leurs faibles moyens, un système qu’ils donnèrent avec satisfaction pour la fidèle image de l’univers. On découvrit naturellement bientôt que les encyclopédistes, si fiers de leur raison, se trompaient, eux et leurs disciples. On découvrit des faits qui contredisaient leurs explications hâtives, et il y eut toute une série de phénomènes que le système négligeait entièrement, qu’il ne couvrait pas, comme un mantelet trop court, et qui passaient railleusement par toutes les bordures. Alors on maltraita à coups de pied la philosophie des encyclopédistes et l’on commit à son égard la faute qu’elle-même avait commise : on confondit la méthode de la critique rationnelle avec les résultats qu’elle avait produits entre les mains des encyclopédistes. Parce que ceux-ci, par connaissance insuffisante des faits, donnaient de la nature une explication fausse et arbitraire, les assoiffés de savoir s’écrièrent, déçus, que la critique rationnelle était en soi une fausse méthode ; que la pensée logique ne conduisait à rien ; que les explications de la philosophie d’émancipation étaient aussi indémontrées et indémontrables que celles de la religion et de la métaphysique, qu’elles étaient seulement moins belles, plus froides et plus étroites ; et l’on se précipita avec ferveur dans toutes les profondeurs de la foi et de la superstition, où, sans aucun doute, ne croissait pas l’arbre de science, mais où de beaux mirages enivraient l’œil, et où murmuraient les sources chaudes parfumées de toutes les émotions.
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LES PRÉRAPHAÉLITES