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et délassé les membres de son adversaire, échauffés et haletants sous la foudre[1].

Alors la Terre desséchée, battue par les grêlons aigus lancés contre son fils, en voyant les traits pétrifiés et les flèches des eaux s’acharner sur le corps du géant, et s’approcher la fin de sa destinée, s’adresse humblement au Soleil, Titanide comme elle, et lui demande un rayon de sa lumière divine pour fondre d’un feu plus ardent les glaçons entassés par Jupiter dont elle souffre elle-même, et pour ranimer de sa chaleur son allié, Typhée, tout engourdi. Puis, à l’aspect de ces légions embrasées de bras brûlants dans les airs, elle implore pour un jour seulement l’un des plus insupportables ouragans de l’hiver qui, de ses froides haleines, puisse apaiser la soif et les tortures du géant.

Jupiter fait enfin pencher la balance du combat. La Terre, au même moment, déchire le voile des forets qui la recouvrent ; elle gémit à la vue des têtes fumantes de son fils et de ses fronts consumée Le géant s’affaisse sur lui-même, et aussitôt la trompette de l’Olympe fait mugir son tonnerre et entonne le chant prophétique de la victoire.

Étourdi par un dernier trait incandescent de la foudre, Typhée, sans être blessé du fer, tombe d’en haut les reins étendus sur le sein de sa mère ; il vomit la flamme, et ses membres de serpent gisent sur la poussière. Jupiter alors le provoque par ses sourires et par ces paroles ironiques.

« Vraiment, Typhée, le vieux Saturne a enfin rencontré un puissant auxiliaire : à peine la Terre a-t -elle produit un rejeton du grand Japet, qu’il s’est fait déjà le vengeur des Titans. Je le vois bien, les foudres de Jupiter ne peuvent rien contre lui. Que tardes-tu donc, monarque imposteur, d’occuper les airs inaccessibles ? Le trône de l’Olympe t’attend. Ennemi des Dieux, reçois le sceptre et le manteau de Jupiter. Ramène au ciel Astres[2] ; rappelles-y, si tu le veux, Ophion[3] et Eurynome[4] avec leur compagnon Saturne. Que le fourbe Prométhée, échappé à ses chaînes, et prenant pour guide l’audacieux oiseau qui dévore impitoyablement ses entrailles renaissantes, s’avance avec toi dans les hauteurs du ciel étoilé !

« Tu voulais pour prix du combat, voir Jupiter et Neptune derrière ton siège. Eh bien, voici d’abord Jupiter dépouillé de ses forces, de ses nues, de son tonnerre, du sceptre de l’Olympe, enfin réduit à porter au lieu de ses éclairs et de sa foudre accoutumée, les flambeaux de tes amours ; et, tout jaloux qu’il est, prêt à te conduire, malgré ses regards courroucés, vers ton épouse Junon, part glorieuse de ton butin. Voici ensuite mon frère Neptune que tu as détaché de ses mers taries pour en faire l’échanson de ta table, et confier à ses mains la coupe en place de ce trident. N’as-tu pas déjà Mars pour esclave et Apollon pour serviteur ? Envoie donc en messager le fils de Maïa, afin qu’il annonce aux Titans ton règne et ta splendeur céleste. Mais, crois-moi, laisse à sa Lemnos

  1. Tournure homérique et virgilenne. — Ceci est une tournure de style épique imitée d’Homère. Mot à mot : Si Jupiter versait la pluie à son tour, il baignerait tout le corps de Typhée, et rendrait à ses membres leur souplesse et leur vigueur. — C’est à quelque chose près, aussi, le Ni faciat de Virgile (En., liv. I, v. 58), dans la lutte d’Éole contre les vents.
  2. Astrée. — Astrée est le nom de Titan, époux de l’Aurore. (Hésiode, Théog., v. 382.)
  3. Eurynome - Océanide fut l’épouse d’Ophion.
  4. Ophion, — Ophion était l’un des cinq géants échappés à la batailles de l’Olympe, en nombre égal aux cinq Spartes que ménagea Cadmus, après le combat du Dragon.