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flancs de la nue, et à la gonfler en l’échauffant intérieurement. Déjà une flamme intestine et comprimée tente à grand bruit de percer les nuages pressés et fumants : mais il ne lui est pas donné d’atteindre plus haut ; car alors l’air chargé de gouttes de pluie, condensé par l’humidité des régions supérieures et chauffé par ces nouvelles exhalaisons, rencontre l’éclair qui l’ouvre et se dilate en feux bondissants.

Comme une pierre qui recèle le feu dans son sein, roche femelle heurtée par un rocher mâle, fait jaillir l’étincelle née d’elle-même, qu’elle recèle dans ses flancs ; ainsi le feu céleste s’allume au choc de la vapeur et de la nue. Quand cette vapeur se subtilise en s’élevant de la terre, elle produit les vents ; lorsque le Soleil la rencontre, tiède et tumultueuse, dans le vague des airs, échappée des eaux du sol, il la pénètre et l’empreint de ses rayons brûlants. Alors elle s’épaissit et enfante la nue dont l’enveloppe la grossit encore ; puis, se fondant sous une molle évaporation, elle dissout la nue elle-même ; et, revenue à ses éléments primitifs, elle retombe en pluie. Ainsi se forment les nuées brûlantes ; ainsi s’engendrent à la fois les foudres et les éclairs[1].

Jupiter attaque à son tour, et lance ses feux accoutumés contre les lions de son adversaire. Il frappe d’une trombe céleste les rangs tumultueux de leurs gosiers démesurés. Un seul de ses traits consume fa multitude des mains ; un seul de ses traits pulvérise ces épaules sans nombre, et ces tribus de dragons à la peau tachetée : les dards éthérées percent des têtes infinies. Une comète tournoyante attache une étincelle jaillie de son ardente chevelure, à la chevelure de Typhée, dont les fronts s’illuminent ; ses anneaux sifflent d’abord, s’embrasent ; puis la flamme céleste les pénètre sourdement, et l’écume envenimée de ses dragons se dessèche dans leur gueule pantelante.

Bientôt les yeux du géant se remplissent d’une fumée et d’une cendre épaisses ; ses visages sont meurtris par les frimas ; des flocons de neige blanchissent ses joues. Il souffre aussi de la quadruple violence des quatre vents ; s’il regarde à l’orient, les haleines voisines et ennemies de l’Euros le calcinent. S’il se tourne au nord, vers le coucher orageux de l’Ourse Arcadienne, il rencontre le givre et les tourbillons glacés de l’hiver ; s’il fuit la froidure du neigeux Borée, il est poursuivi par des atteintes humides et tièdes tout à la fois. S’il considère l’occident, il voit avec effroi se dresser contre lui toutes les tempêtes du couchant en face d’une formidable aurore, et entend bruire le Zéphyre avec ses rafales printanières. Notus, de son côté, bat de ses souffles brûlants les voûtes aériennes, les régions méridionales du Capricorne, et ne présente au géant que l’incendie de ses vapeurs enflammées. Car si Jupiter, le maître souverain des pluies, en eut fait de nouveau descendre les torrents, il aurait rafraîchi

  1. L’esprit de la poésie nonnique. — « L’esprit de la poésie nonnique, » dit encore M. Ouvaroff ou pour mieux parler, le goût dominant de l’outrance trahit un penchant démesuré vers ce qu’il y a de grand et de sublime dans la nature, et pendant ce temps que de vains efforts pour tout expliquer par le minutieux éclat d’une érudition poussée, singulière méprise de l’art qui ne montre par là qu’une sorte d’image trompeuse ! C’est ainsi que nous trouvons souvent Nonnos s’enfonçant dans des descriptions astronomiques et philologiques sans fin. C’est un des traits distinctifs de sa poésie, et peut-être un héritage de son origine égyptienne L’épisode didactique et extrêmement descriptif de la formation des vents et des tempêtes est particulièrement représentatif. » Ce même épisode que Cunaeus s’efforce de briser pièce à pièce, qu’il traite d’abord de hors-d’œuvre inepte, puis d’explication niaise. « Nonnos, dit-il, avait lu quelque chose sur la cause des tempêtes dans les Météores d’Aristote, et il n’a trouvé aucun autre moyen de nous le dire que de l’insérer ici ; le voilà de poète devenu tout grand philosophe naturaliste, comme pour nous montrer sa petite et vaine érudition. » Ici l’abrège et j’affaiblis l’attaque, pour dire tout de suite combien je préfère en cette occasion le jugement du Russe, habituellement louangeur, à la colère bien souvent injurieuse du bilieux Hollandais.