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cime, une cime ; le ravin des pics élevés appuie les replis d’un autre ravin ; enfin les collines escarpées servent de casque au géant, et ses têtes se cachent dans les plus hauts sommets.

Il n’a qu’un seul corps sans doute, mais il combat sous mille formes avec des légions de bras, de mâchoires de lion armées de dards aigus, et avec sa chevelure de vipères se ruant sur les astres. Il double des arbres entiers pour les brandir contre le fils de Saturne ; mais ces énormes produits de la terre, Jupiter les anéantit à regret par une seule étincelle de sa foudre impétueuse.

Là, périrent bien des ormes et bien des sapins du même âge, d’immenses platanes, et des peupliers dardés contre le ciel.

Bientôt, les entrailles de la terre éclatent ; le globe est frappé sur les quatre points de sa circonférence. Les quatre vents auxiliaires de Jupiter élèvent dans les airs des colonnes d’une ténébreuse poussière. Ils creusent les vagues ; sous la mer fouettée de leurs souffles, la Sicile remue ; les rives du Pélore frémissent ; les sommets de l’Etna, les rochers de Lilybée, prophétiques emblèmes de l’avenir, mugissent sourdement ; et le promontoire de Pachyne s’ébranle sous l’effort des vagues occidentales. Au nord, la Nymphe de l’Athos s’agite autour des vallons de la Thrace ; les forêts de la Macédoine résonnent sur les flancs du mont Piérus. Les hases de l’Orient oscillent ; et la vallée du Liban, si riche d’encens et d’ombrage, a retenti.

Cependant, les traits que Typhée dirige contre la foudre de l’infatigable Jupiter, tombent les uns près du char de la Lune où ils vont effleurer les pas insensibles de ses taureaux capricieux, les autres dans les airs où les vents les font tourbillonner en sifflant, et les dispersent. Le plus grand nombre, écarté par la foudre du dieu invulnérable, est reçu dans les mains joyeuses de Neptune qui s’est dégagé de son trident aigu ; et le vieux Nérée les recueille humides encore sur les bords de la mer Adriatique pour en dresser un trophée à Jupiter.

Bientôt, armant les deux terribles et inséparables fils de Mars, Phobos et Dimos[1], le dieu, leur oncle paternel, en fait ses satellites. Il donne à Phobos l’éclair, et à Domos la foudre pour épouvanter Typhée. La Victoire porte un bouclier qu’elle tend devant Jupiter[2]. Bellone jette des clameurs violentes, et la bataille bruit au loin. Le dieu avec son égide déchaîne les tempêtes, et parcourt les hauteurs de l’espace assis sur le char rapide du Temps. Ses coursiers s’avancent d’un pas égal. Il lance d’une main les éclairs, de l’autre les foudres ; tantôt le tonnerre, tantôt la pluie ; puis, mêlés aux jets de la pluie, des grêlons pétrifiés ; les trombes impétueuses fondent sans cesse sur les têtes du géant, et les traits aériens de la grêle ensanglantent ses mains comme un glaive aigu. Une de ses mains toute meurtrie du tranchant de la grêle, tombe sur la poussière, sans lâcher la roche qu’elle porte ; elle lutte

  1. Phobos et Dimos, la Peur et l’Épouvante. Ce sont les terribles compagnons de Mars, qui s’abattent avec la Discorde sur l’armée des Grecs (Iliad., V, 640). Homère les dit fils de Mars, dans nommer leur mère ; tandis que quelques mythologues les font naître de Vénus, et par conséquent les donnent, on ne sait trop pourquoi, fils de l’Amour ; plus tard, on les dépouilla de leur origine divine et on en fit des chevaux.
  2. Correction expliquée. — Au lieu de ἰθυπτίονας, qui est lancé en ligne droite, de Nonnos, j’aime mieux lire ἰτυτμῆτας, puisqu’il s’agit d’une roche qui ne doit pas blesser, mais assommer.