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Saturne n’a-t-il pas pris la forme de Diane pour tromper Calisto ? La mer sera mon refuge : que me fait sa fureur ? Mais Neptune a jusque dans les flots tourmenté Astérie[1]de ses folies ardeurs. Du moins, si j’avais des ailes pour voler, et si je m’élevais avec les vents dans les hautes régions des airs ! inutiles efforts ! Typhée atteint les nues elles-mêmes de ses mains qui s’élèvent jusqu’à la hauteur du soleil. Mais quoi ? S’il me menace de ses injustes violences, je changerai de forme, je me mêlerai aux oiseaux, je volerai comme Philomèle ; ou, comme l’hirondelle, chère au Zéphyre printanier, j’annoncerai la rose et la saison des fleurs : puis voltigeant autour des cabanes, chantre babillard, je ferai répéter à l’Écho des toits et des lambris ma chanson sonore. Progné, trop éprouvée, tu regrettes dans tes accents la mort de ton fils, et moi je pleurerai ma virginité. — Mais non, de grâce, roi des Dieux, ne faites pas de moi une hirondelle. Comme Typhée, Térée me poursuivrait de ses ailes et de sa colère à la fois. Puisque l’air, les montagnes et la mer me sont interdits, pourquoi ne pas me cacher dans les entrailles de la terre ? Ah ! les hydres venimeuses du géant roulent leurs anneaux de vipères jusques dans les cavernes souterraines. Je pourrais peut être devenir une fontaine au milieu des villes, mêlant, comme Cométho[2], des flots nouveau- nés aux courants paternels. Que, du moins, ce ne soit pas près du Cydnus. Je ne voudrais pas unir mes eaux chastes aux ondes d’une Nymphe coupable en amour[3]. Si je choisis encore un arbre, et que d’un chêne je passe à un autre chêne, je veux, au moins, rester le rejeton d’une race honorée. Après avoir été Daphné, je ne consentirai jamais à porter le nom infamant de Myrrhe[4]. Oh ! je vous en supplie, roi des Dieux, par les ondes du plaintif Éridan, faites que je sois une des héliades ; l’Ambre coulera fréquemment de mes paupières ; j’unirai mon feuillage aux rameaux gémissants du peuplier mon voisin ; et ce n’est pas Phaéton, mais ma virginité, que pleureront mes précieuses larmes. Pitié, Daphné, pitié ! J’ai déjà été l’arbre dans une forêt, et je crains d’être un arbre encore. Soyons pierre plutôt comme cette Niobé de roche, dont les pleurs attendrissent les passants. Mais pourquoi cette forme d’une Nymphe impie et injurieuse ? Pardonnez, Latone ; et périsse à jamais le nom de la mère infortunée qui osa lutter contre une Déesse ! Où fuir Typhée, et le danger pour moi, qui suis d’une nature si différente, de lui donna un fils semblable à son père ? »

Pendant qu’elle parlait, le Soleil, quittant le pôle arrondi, avait tourné son char vers l’occident. La nuit silencieuse, s’appesantissant sur la terre et émaillant les airs, recouvrait le ciel de son voile constellé, comme d’un immense vêtement. Les Dieux erraient sur les rives du Nil sans nuages ; et Jupiter attendait, sur les sommets du Taurus, l’Aurore qui ramène le travail.

  1. Astérie.— La nymphe Astérie est la personnification de Délos, et c’est un des noms mythologiques de cette île. — Ovide la fait poursuivre et enlever par l’aigle de Jupiter. Fecit et Asterien aquila luctante teneri. (Métam, l. VI, v. 108.)
  2. Cométho. — Fille de Ptérélas, roi de Thèbes : elle porta à Amphitryon, dont elle était éprise, le cheveu d’or qu’elle avait coupé sur la tête de son père, et d’où dépendaient la vie de Ptérélas, comme les destinées de la ville. Amphitryon l’ayant fait mettre à mort, elle fut changée en fontaine ; c’est ainsi que Scylla, pour une action toute pareille, devint alouette. …Patris miseri patrisque inventa sepulcrum O nimium cupidis si non inhiasset ocellis. (Virg., Géorg., v. 131.) Voici, et je n’en dirai pas plus sur ce médiocre imitateur des premiers chants des Dionysiaques, voici comment Pierre de Marcassus, poète-romancier si fécond, et quelque peu mon compatriote pour être né sur la limite de la Gascogne et du Languedoc, a paraphrasé les deux vers qui parlent ici de Cométho : « Je souhaiterais, dit-elle, devenir une de ces fontaines de la Gaule, qui mêlent leurs eaux avec celles de leurs amants, comme celle de la a Sicile, ou celles que le dieu de Cydne reçoit dans son lit, même avec celles de leurs pères, comme on dit de la chaste nymphe qui coule a assez près du lac de Nar. » Certes, en voilà assez sur Cométho, et presque trop sur Pierre de Marcassus.
  3. La nymphe du Cydnus. — Cette nymphe, malheureuse en amour, δύσερως, que Nonnos ne nomme pas, doit être Glaphyre, dont le fragment d’une élégie de Parthénius nous fait lire l’histoire, et qui a laissé son nom à une province de la Cilicie. « La vierge Glaphyre. » dit-il, «  était reine des Ciliciens ; prête à se marier, elle s’éprit tout à a coup du limpide Cydnus, et alluma la torche de Cypris en faveur d’un fleuve, jusqu’à ce que la déesse en eût fait une fontaine, et eût, dans une amoureuse union, mêlé les eaux du Cydnus et de la nymphe. Εἰσόκε μιν Κύπρις πηγὴν θέτο, μίξε δ’ ἔρωτι Κύδνου καὶ Νύμφης ὑδατόεντα γάμον (Dist. cité par Eustath., Il., t. Il, édit, rom., 712, p. 327.)
  4. Myrrha, — fille incestueuse de Cynras, roi de Chypre, et mère d’Adonis, rappelle une tragédie, ou, pour mieux dire, un opéra d’Alfieri, qui n’a pas craint de traiter sur la scène italienne un thème difficile : Gratulor huic terrae, quod abest regionibus illis Quae tantum genuere nefas. (Ovide, Mét. l. X, v.306.)