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son gpuvernail. De même Typhée, enivré par ces accents perfides, reçoit l’agréable trait de l’harmonie, avant-coureur de sa mort.

Bientôt cependant, le mélodieux chalumeau du pasteur que cachait une épaisse ceinture de nuages, se tut, et mit fin au concert. Typhée se sent saisi de la rage du combat aérien, il court en hâte vers les profondeurs de la grotte pour y saisir dans sa fureur belliqueuse l’orageux tonnerre, l’éclair insaisissable ; et partout il cherche à pas investigateurs l’ardente foudre disparue. La grotte était vide. Il reconnut alors trop tard le stratagème de Jupiter, les fourberies de Cadmus, et, repoussant de sa queue de serpent comme de ses ongles, les rochers de la terre, il s’élance vers l’Olympe. Là, il vomit le venin de son gosier ; et aussitôt les torrents bouillonnent accrus des pluies que leur versent les vipère de sa haute chevelure. Le sol de la Cilicie, jusque-là immobile et profondément affermi, oscille sous ses pieds de dragon. Les flancs du Taurus s’agitent bruyamment sur leur base ; les rives de la Pamphylie voisine en tremblent de terreur. Les grottes souteraines grondent, les plages frémissent, les ravins s’ébranlent, et le sable des rives glisse sous l’effort des secousses de ses pieds.

Il n’épargne ni les troupeaux, ni les bêtes féroces. Les ours carnassiers sont broyés sous les mâchoire des ours de son visage. Les lions aux têtes fauves et aux membres velus sont engloutis par les gueules béantes de ses lions. Sa gorge de serpent déchire la faibles anneaux des serpents terrestres. Il dévore les oiseaux des airs devenus ses voisins, et jusqu’alors inaccessibles. Il se repaît avant tout des aigles qu’il sait appartenir à Jupiter, et qui planent près de lui. Il ne fait pas même grâce au bœuf du labourage malgré les plaies saignantes du joug[1].Il eut soif après tant de carnage ; et, souillant les fleuves, il chassa les troupes des Naïades de leurs retraites. Puis, quand la nymphe du fleuve traversant l’eau de ses gouffres qui sort et chemine à peine, s’avance dans son cours appauvri, et y demeure les pieds secs et nus, il atteint la jeune fille tremblante sur la route aride de sa demeure, et enferme ses genoux prisonniers dans la vase de sa lit.

Les vieux bergers, effrayés à l’aspect des mille formes du géant furieux, s’enfuient laissant tomber leurs flûtes. A la vue de toutes ces mains menaçantes, le pasteur des chèvres jette au vent son mobile chalumeau. L’actif laboureur qui vient de livrer la semence au sillon nouvellement creusé, cesse de la recouvrir de terre ; et, ne pouvant plus fendre d’un fer tranchant le sol déjà fendu par les secousses de Typhée, il dételle ses boeufs. Déchirées par les traits du géant, les vastes cavités de la terre apparaissent. Il perce la veine humide ; les sources s’échappent. Les torrents déchaînés, inondant les vallons inférieurs, versent sur un sol sans protection toutes les eaux des réservoirs souterrains. Les rochers s’effondrent. Leurs sommets, minés par les vagues torrentueuses

  1. Le bœuf de labour. — Une loi d’Athènes interdisait de sacrifier le bœuf de labour (Cicéron, Nat. Deor. liv. II). « Ne tue pas, disait-elle, le bœuf qui se fatigue attelé au joug du char ou de la charrue, car c’est un laboureur aussi, et il est pour l’homme le compagnon de ses travaux. » Élien, Hist. var., liv. V, § 14.) Plus tard, cette défense fut un trait d’humanité loué par l’anthologie. « Il n’a pas conduit au sanglant abattoir un bœuf que le sillon et la vieillesse accablaient : mais il a respecté ses labeurs ; et il le laisse jouir, en mugissant dans un herbage épais, de sa délivrance de la charrue. » (Addée de Macédoine, Anth. Jacobs, liv. X, ép. 1.) Et pourtant le bœuf de la Fontaine se plaignait encore : Puis, quand il était vieux, On croyait l’honorer chaque fois que les hommes Achetaient de son sang l’indulgence des dieux. (Fabl. IV, liv. X.)