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terre pendant le combat, il les offre au rusé Cadmus en don d’hospitalité[1]. Alors, le faux berger loue le présent divin, manie les nerfs eu tout sens comme s’il allait en garnir sa lyre ; et, les cachant adroitement dans un creux du rocher, il les réserve pour le triomphe de Jupiter ; puis, d’un souffle léger, imitant avec le murmure de ses lèvres les bruits de l’Écho, il fait entendre, à l’aide de ses chalumeaux, la plus molle harmonie, et charme toutes les oreilles attentives de Typhée, qui ne s’est pas aperçu de la ruse.. Pour séduire le géant, le faux pasteur exprime par ses sons la déroute des dieux ; mais il célébrait en même temps la future victoire de Jupiter. Il prophétise ainsi à Typhée, assis auprès de lui, la mort de Typhée lui-même[2] ; et pourtant il excite au plus haut degré son enthousiasme.

Ainsi que dans le délire de l’amour, un jeune homme fait ses délices d’une jeune fille de son âge, admire d’abord la blanche rondeur de son visage gracieux, puis les grappes vagabondes de son épaisse chevelure, ensuite ses doigts vermeils ; tantôt il épie les contours d’une gorge de rose que resserre la ceinture, tantôt il considère les épaules dégagées de voile, se repaît ainsi de toutes les beautés de la vierge qu’il ne peut quitter, et transporte de l’une à l’autre son insatiable regard.

Tel Typhée livre à Cadmos toute son âme enivrée d’harmonie.


Notes :

  1. Les nerfs de Jupiter. — Ces nerfs de Jupiter tombés dans une première lutte de Jupiter contre Typhon, Nonnus, par une suite des traditions qui régnaient en Égypte autour de lui, les échangés contre les nerfs de Typhon lui-même. «  En la ville des Coptes, on dit que Mercure ôta les nerfs de Typhon, dont il fit des cordes à sa lyre, nous enseignant par là que la raison a mis d’accord tout ce qui auparavant était en désaccord. » Ὡς τὸ πᾶν ὁ λόγος διαρμοσάμενος σύμφωνον ἐξ ἀσυμφώνων μερῶν ἐποίησε. (Plutarque, Isis et Os., § 54.) Ce qui veut dire, dans les deux langues, que Mercure est la raison, la lyre l’accord, et le discord les nerfs de Typhon, génie du mal.
  2. Typhon et Typhée. — Je n’ai pas tenu compte de la différence que les commentateurs les plus érudits établissent entre Typhon et Typhée, comme entre la cithare et la lyre. D’abord, parce que la limite qu’ils ont tracée, tant d’un côté que de l’autre de ces deux termes, me paraît toujours fort indécise ; ensuite, même après l’examen le plus attentif du texte, je ne suis pas bien sûr que Nonnos n’ait pas voulu confondre lui-même dans son poème, comme ils l’étaient alors dans l’idée mythologique, Typhée le Cilicien, fils de la Terre, et Typhon l’Égyptien, né d’Isis : et je me persuade qu’il s’est servi indifféremment des deux noms, au gré de la prosodie. Quant à la cithare, une dissertation sur cet article m’aurait entraîné beaucoup trop loin ; car je n’aurais pas manqué de faire descendre des sept tons d’Orphée (septem discrimina) aux sept notes de notre gamme actuelle ; et cette lyre qui se frappait tantôt avec l’archet, tantôt avec les doigts, on a voulu reconnaître cette sorte de guitare- ??? dont l’essai, renouvelé de l’antique, a été vainement tenté de nos jours.



La bataille aérienne de Typhée, l’éclair, le triomphe de Jupiter, et les réjouissances de l’Olympe.

Tandis que le fils d’Agénor, pâtre mensonger, demeure immobile à la limite des pâturages de la forêt, et presse de ses lèvres mobiles le bord de sa flûte[1], le fils de Saturne se glisse tout à coup dans la grotte sans bruit, sans être aperçu ; et il arme de nouveau ses mains de sa foudre habituelle. Une nue enveloppe aussitôt Cadmos invisible auprès du rocher, de peur qu’en reconnaissant l’artifice, Typhée, trop tardivement avisé, ne prenne le berger pour le mystérieux voleur, et n’immole l’un à la place de l’autre. Le géant toutefois ne songeait qu’a s’abandonner au doux charme des chansons et de leur cadence.

Tel que le nautonier, épris du chant artificieux de la Sirène, court prématurément et de lui-même à sa perte. Endormi par la mélodie, il ne fend plus les flots. Sa rame tranquille ne blanchit plus d’écume l’onde azurée ; mais, tombé dans les filets de la Parque à la voix séduisante, l’infortuné oublie l’astre des sept Pléiades, la marche circulaire de l’Ourse et

  1. Épithètes de remplissage. — Il n’y a point chez Nonnos, à proprement parler, de ces épithètes commandées par le besoin de la phrase ou par souci de la mesure, dites communément de remplissage ; elles sont parfois tirées de loin, entrelacées les unes dans les autres ; elles peuvent de temps en temps surcharger et embarrasser la phrase : mais elles ont chez lui, comme chez les auteurs grecs plus parfaits, une signification vraie si ce n’est claire ; et elles se rapportent toujours au sujet.