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d’en révéler le mystère. Sa mère l’avait portée aussitôt à travers les airs sur son sein et couchée dans ses bras vers le palais nourricier d’Électre, d’Électre dont les Heures de l’enfantement venaient d’amener la maternité, et dont les mamelles regorgeaient de la blanche rosée du lait le plus abondant. La reine recueillit l’enfant illégitime, associa la fille qui venait de naître à son fils Hémathion du même âge ; et leur donnant le même sein, les porta l’un et l’autre sur ses bras complaisants avec une même sollicitude.

Comme, au fond d’un bois sauvage, une lionne velue tend ses deux mamelles à ses deux jumeaux, partage son lait entre eux, lèche leur peau qu’aucun poil ne recouvre encore, et fait croître d’un soin égal son égale progéniture ; ainsi Électre, unissant dans son affection ce couple de nouveau-nés, leur prodiguait un aliment tout pareil. Tantôt, plaçant son fils d’un côté, et de l’autre la faible enfant, sous la rosée bienfaisante de ses mamelles, elle les entourait tous les deux de ses bras et de ses caresses ; tantôt, écartant un de ses genoux loin de l’autre, et élargissant et creusant les replis de sa robe, elle y étendait ensemble son fils et la jeune fille ; puis elle chantait la chanson qui invite les enfants au sommeil, et les endormait avec tout l’art des nourrices ; alors, elle glissait, pour les appuyer, son coude sous leur tête, et leur faisait un lit de ses genoux ; enfin, agitant, sur les deux fronts qu’elle voulait rafraîchir, les bouts de son manteau, elle combattait ainsi l’ardeur du jour par l’haleine imitatrice d’un zéphyre improvisé.

Pendant que Cadmus était encore assis auprès de la prudente reine, Mercure, trompant le gardien des portes par une marche dérobée, avait pénétré dans le palais, sans être ni vu ni entendu, sous la forme d’un jeune homme. Autour de son visage coloré, ses cheveux découverts tombent en boucles épaisses. L’extrémité de ses joues se couronne d’un duvet tout nouveau, et un léger demi-cercle de. poils récents dore les deux côtés de ses lèvres. Il porte la baguette accoutumée comme un héraut d’armes ; et une nue, le couvrant de la tête aux pieds, le rend invisible ; il arriva quand finissait le somptueux festin, et ne fut aperçu ni d’Hémathion ni de son convive Cadmus, ni de la foule des serviteurs, pas même d’Harmonie. Il se montra adroitement aux yeux seuls de la divine Électre, et la conduisant dans le fond du palais, il lui fit entendre tout à coup une voix humaine et ces paroles :

« O sœur de ma mère, épouse de Jupiter, salut à vous, la plus heureuse jusqu’ici de toutes les femmes[1], puisque le fils de Saturne réserve à votre race l’empire du monde, et doit lui soumettre toutes les villes de l’univers, pour gage de son amour. Un jour, avec ma mère Maïa, vous resplendirez dans le ciel parmi les sept étoiles compagnes du Soleil, et vous vous lèverez en face de

  1. La Salutation angélique. — Si je ne devais être critiqué pour ce rapprochement beaucoup trop profane, je montrerais ici que Nonnos, en se préparant à commenter saint Jean, avait aussi sans doute lu dans saint Luc la Salutation angélique ; et je tirerais de ce passage un témoignage de plus en faveur de l’identité du chantre de Baccbus et du paraphraste de l’Évangile.