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flagration, de son naufrage, de sa ruine ou de sa mort. Aussi bien ne prêtait-il rien, et jamais il n’aurait rien prêté. Bref, de ce monde seraient bannies foi, espérance, charité ; car les hommes sont nés pour l’aide et secours des hommes…

Et sur le patron de ce fâcheux et triste monde, si vous vous figurez l’autre petit monde qui est l’homme, vous y trouverez un terrible tintamarre. La tête ne voudra prêter la vue de ses yeux pour guider les pieds et les mains ; les pieds ne la daigneront porter ; les mains cesseront de travailler pour elle. Le cœur se fâchera de tant se mouvoir… ; le poumon ne lui prêtera plus ses soufflets… ; le cerveau, considérant ce train dénaturé, se mettra en rêverie…

Somme, en ce monde dérayé, rien ne devant, rien n’empruntant, vous verrez une conspiration, une déroute sans exemple. Il périra, sans doute, et bientôt et de fond en comble, et s’en ira tout le corps en putréfaction, et l’âme indignée prendra son vol à tous les diables.

Au contraire, représentez-vous un monde où chacun prête, où chacun doive, où tous soient emprunteurs, où tous soient prêteurs. Ô quelle harmonie dans le mouvement régulier des cieux ! il me semble l’entendre. Quelle sympathie parmi les éléments ! comme nature s’y délectera en ses œuvres ! Cérès chargée de blés, Bacchus de vins, Flora de fleurs, Pomona de fruits. Junon, en