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barbouilleurs dont l’érudition n’est jamais allée jusqu’à épeler une ligne des chroniques. Aujourd’hui, ce n’est pas tout-à-fait la même chose. La science des faux docteurs, à force d’aiguiser des armes contre la vérité, en a dérouillé quelques-unes qui la blesseront à mort quand on daignera les ramasser. Telle est la question de la liberté de la presse.

Oui, sans doute ! la presse a eu de grands et d’honorables martyrs sur lesquels les larmes des gens de bien coulent encore : Ramus, assassiné par les péripatéticiens des écoles ; Dolet, aux acclamations d’un peuple extravagant dans sa foi, comme il l’a été depuis dans son athéisme ; Morin, le patron inconnu des saint-simoniens, qui fut pendu en prophétisant que ses successeurs seroient lapidés, et qui a prophétisé juste ; Cazotte, parce qu’il aimoit la royauté ; Du Rozoy, parce qu’il aimoit le roi ; et tout le reste, selon que la bellua caméléon avoit changé de robe et de passion, pendant qu’on égorgeoit les uns ou les autres. L’espèce anthropophage reste toujours la même, en dépit des progrès de son prétendu perfectionnement. Bigote, elle mange des incrédules ; incrédule, elle mange des prêtres ; il n’y a de nouveau que le menu du festin. Les goules populaires qui déterrèrent le maréchal d’Ancre pour le dévorer, auroient été très dignes de participer à la curée de septembre sur le cadavre de la princesse de Lamballe. Il y a quatre ans qu’elles demandoient du ministre, et si on ne les musèle pas, elles en demanderont demain. Toute l’histoire des peuples civilisés est écrite en grosses lettres et imprimée avec du sang, dans l’histoire des cannibales.

À force de chercher, on trouveroit bien dans l’époque que j’ai marquée, c’est-à-dire avant Louis XIV, deux ou trois hommes alors populaires, et qui ne furent réellement sacrifiés qu’à de cruelles vengeances royales, tels qu’Edmond Bourgoin et Jean Guignard ; mais ce n’est pas en faveur de ceux-là qu’on réclame au nom de la presse persécutée par les tyrans du seizième siècle. Leur supplice date du joyeux et favorable avénement d’Henri IV, et il a fourni un texte inépuisable d’équivoques galantes et de gracieuses bouffonneries à la tolérante Clio de Voltaire. C’est qu’il n’y avait pas grand mal de tirer à quatre chevaux de pauvres moines stupides ou fanati-