tenoit à quiconque savoit écrire et vouloit imprimer ; et il est vraisemblable que la légalité qui atteignoit ces délits étoit moins rigoureuse que la nôtre pour ceux qui ne s’attaquoient qu’aux pouvoirs constitués de l’état, puisque la presse elle-même, si intéressée à crier de ses blessures, nous a conservé moins de procédures de ce genre en deux siècles, que la Gazette des Tribunaux n’en étale en deux jours. On ne dira pas pour me répondre que le libellisme a gagné en fécondité dans la même proportion. Les insulteurs répandus sur le chemin du triomphe ne font plus que des groupes isolés, et sans consistance ; c’étoient alors des légions et des armées. Un bibliophile s’amuse à recueillir ces témoignages contemporains de nos ignobles discordes sous vingt ministres différents, et je garantis qu’il en a tout au plus de quoi remplir les soixante-sept portefeuilles du recueil si notoirement incomplet des Mazarinades. Quant à Anne Dubourg, à Estienne Dolet, à Geoffroy Vallée, à Simon Morin, à Claude Petit, à cinquante autres victimes innocentes, ou du moins excusables, du fanatisme ou des infâmes concessions de la justice, le crime en est à la bellua centiceps du poète, comme le massacre de la Saint-Barthélemy, comme les fureurs de la ligue. Ce ne fut probablement pas la bouche d’Henri III qui ordonna au parti vainqueur de pendre le président Brisson à une des corniches de la salle du conseil. Ce furent les seize bouches sanglantes du monstre. Partout où l’exercice temporaire de cette tyrannie de la populace qu’on appelle sa souveraineté n’est pas réprimée soudainement par une main toute puissante, il y a violation des loix humaines et de la liberté.
L’ascendant d’un charlatanisme imposteur qui donnoit pour nouveau tout ce qui s’approprioit bien ou mal aux vœux irréfléchis de la masse, n’étoit pas difficile à comprendre au moment de la révolution de 1789. L’éducation collégiale, fermée à l’histoire de France, ne s’ouvroit qu’au récit de ces énormes brutalités grecques et romaines, sous la garantie desquelles on sanctifioit dans la chaire des professeurs le fratricide de Timoléon et le parricide des Brutus. Notre passé, à nous, n’étoit qu’esclavage et barbarie, et nous avions pour témoins de ce grand fait du passé quelques pieds-plats de