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de justice qu’autant que les institutions fondamentales de la société s’y trouvoient intéressées. Le reste appartenoit à la critique commune, et le bibliothécaire du ministre, le savant Gabriel Naudé, a fait sur cette matière un excellent ouvrage, où les bonnes intentions et les vrais talents sont appréciés avec autant d’impartialité que s’il s’agissait des affaires d’utopie ou de celles de l’île Sonnante. Nous sommes, sous le rapport de la vraie liberté, à mille générations rétrogrades de ce temps-là. On ne s’en doute guère.

Je suis bien loin de nier cependant que la presse ait eu ses martyrs. Je sais vraiment trop d’histoire littéraire pour tomber dans cette erreur, et j’ai porté une conscience trop loyale dans mes écrits les plus faciles à suspecter de condescendance et de passion, pour l’affecter sans y croire. La liberté de la pensée a malheureusement coûté beaucoup de sang, mais la mauvaise foi seule des hommes de métier qui font industrie et trafic de popularité, peut mettre sur le compte de l’institution politique ces concessions tragiques des tribunaux, qui n’étoient qu’un tribut payé par la peur aux frénésies populaires. Oui, sans doute, la liberté de penser et d’écrire a été souvent réprimée avant le règne de Louis XIV par des arrêts homicides, mais ces arrêts déplorables qu’il faudroit pouvoir effacer de l’histoire des nations, ce n’étoient pas les rois, c’étoit le peuple qui les dictoit ; c’étoit l’émeute victorieuse qui venoit les arracher aux tribunaux, un poignard levé d’une main sur le sein de l’accusé, un poignard levé de l’autre sur le sein du juge. À cette époque, si sottement calomniée par l’ignorance ou le mensonge, tout attentat contre l’indépendance de l’âme et du génie, a été l’ouvrage du peuple ; et moi, qui n’ai pas, grâce au ciel, les mêmes raisons que les monopoleurs du vote et les privilégiés de l’ovation, pour caresser d’une flatterie honteuse la bellua multorum capitum d’Horace, je ne sais pourquoi j’hésiterois à dire une fois ce que l’on n’a jamais dit, quoique tous les gens instruits le sachent mieux que moi.

Non-seulement le droit de plainte, de réclamation, de censure, de résistance morale et matérielle, étoit largement libre pour les états-généraux, pour les parlements, pour les cours souveraines, pour les assemblées provinciales, mais il appar-