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nière que dans la macaronée, c’est la langue vulgaire qui fournit le radical, et la langue latine qui fournit les flexions, pour former une phrase latine avec des expressions qui ne le sont pas, au contraire des langues néo-latines usuelles, où c’est l’expression qui est latine dans une phrase qui ne l’est point. L’italien est donc du latin soumis à la syntaxe vulgaire ou aborigène, et la langue factice de Merlin Coccaïe, de l’italien latinisé. Dans l’une et dans l’autre de ces hypothèses, on arrive à deux langues presque menechmes qui s’expliquent l’une par l’autre, à peu près comme on arrive à des quotients équivalents, dans cette opération d’arithmétique où l’on déplace à volonté les extrêmes et les moyens.

Si j’ai eu le bonheur de faire comprendre nettement cette différence délicate, on regrettera certainement qu’il ne nous soit presque point parvenu de macaronée antérieure au seizième siècle, les langues néo-latines étant déjà si avancées alors que le poète macaronique n’avoit guères à sa disposition dans la langue vulgaire que des vocables tirés du latin, et c’est ce qui donne à ses écrits la physionomie d’une composition de latinité barbare, infectée d’idiotismes. Il en auroit été tout autrement s’il avoit flori à une époque plus rapprochée des origines de la langue nouvelle, en pleine jouissance de toutes les traditions récentes de la langue aborigène, et maître de nous les conserver. Ses ingénieuses fantaisies seroient alors ce qui nous resteroit de plus précieux sur l’histoire des langues, et sur le point de départ de leurs mutations et de leurs progrès. Telles qu’elles sont, je les regarde comme un des objets les plus importants des études d’un linguiste, par la multitude d’archaïsmes curieux, de termes des vieux patois et de locutions originales et caractéristiques dont elles contiennent exclusivement à toute autre espèce de livre, l’inestimable dépôt ; et je ne saurois trop déplorer l’injuste dédain dans lequel elles ont été tenues par les savants philologues du seizième et du dix-septième siècle, si capables de les apprécier. Je ne vois en effet qu’un exemple des recherches auxquelles elles ouvroient une large carrière : le commentaire publié à Mantoue en 1768, sur le chef-d’œuvre du genre ; et cet ouvrage, qui a le double défaut d’être exécuté sur un