Page:Nodier - Dissertations philologiques et bibliographiques.djvu/5

Cette page a été validée par deux contributeurs.

PHILOLOGIE.
DE LA
LIBERTÉ DE LA PRESSE
AVANT LOUIS XIV.
[PAR M. CH. NODIER.]
Anecdote curieuse.


Il y a de très honnêtes gens qui se persuadent que la liberté de la presse est une des conquêtes de la révolution ; hommes candides, sincères, estimables, qui croient tout ce qu’on leur dit sur la foi de la tribune et de la presse, et auxquels il ne manque pour juger sainement des choses, que d’avoir lu ou de savoir lire. C’est de cette masse imposante d’opinions individuelles, que se compose le fantôme qu’on appelle l’OPINION PUBLIQUE.

La presse ne subit de répression réelle en France que sous le règne de Louis XIV ; et il est difficile de déterminer si la stupeur qui la saisit tout à coup résulta de l’action vigoureuse du pouvoir ou d’un amendement spontané des esprits. Ce qu’il y a de certain, c’est que la force est aussi forte qu’il lui plaît de l’être, et que tout prince qui veut être maître chez lui n’y manque jamais de serviteurs ; c’est la loi de l’espèce humaine. Voyez Napoléon, et dites-moi quels écrivains ont osé affronter la tyrannie la plus déclarée qui ait jamais pesé sur les nations ? Deux ou trois enfants étourdis peut-être, mais d’autant moins dangereux que le peuple les mettoit au rang des fous, et le peuple avoit raison.

Jusqu’aux premières années du règne réel de Louis XIV majeur, la presse étoit plus libre à Paris qu’elle ne l’a jamais été et ne le sera jamais nulle part. On a vendu chez le duc de La Vallière soixante-sept gros portefeuilles in-4o, de petits pamphlets contre le cardinal Mazarin, et cette énorme quantité de libelles ne compose peut-être pas la soixante-septième partie de ce qui en a paru. Tout cela n’étoit repris par voie