L’anagramme louangeur[1], si fastidieusement prodigué au dix-septième siècle par de méchants poètes à dédicaces vénales, passera toujours pour un sot artifice d’esprit, digne de tenir sa place auprès du rébus et du calembour, et il n’est personne qui n’en ait porté le jugement de Colletet, dans la meilleure de ses épigrammes :
Cet exercice monacal
Ne trouve son point vertical
Que dans une tête blessée,
Et sur Parnasse nous tenons
Que tous ces renverseurs de noms
Ont la cervelle renversée.
Il faut rendre justice à l’anagramme satyrique. Celui-là ne manque pas de courage, et il est trop ingénu pour se réfugier sous les auspices de la question intentionnelle contre les arguties du système interprétatif. Le boulanger de Chalussay auroit été fort mal venu à déclarer que, sous le nom d’Élomire, il entendoit parler d’un autre que de Molière ; et ce genre de personnalité s’est pris souvent, comme on sait, à des puissances sociales dont il étoit plus dangereux de défier la colère.
Au temps où nous vivons, on seroit presque tenté de rendre grâce aux libellistes qui ont conservé assez de pudeur pour respecter le nom propre. Ils ont du moins senti que le nom de l’homme est sacré, parce que son inviolabilité est un privilége de famille. La combinaison artificielle qui le remplace n’exprime plus qu’un outrage individuel, n’imprime plus qu’un affront isolé dont personne n’est solidaire, et qui n’a rien d’explicite pour toute la partie du public étrangère à la querelle. Hâtons-nous d’ajouter, pour en finir sur ce qui concerne l’anagramme et le paronyme, que, de tous les genres de satyre personnelle, la satyre qui a recours à ces deux moyens translucides de déguisement, est de beaucoup
- ↑ Il me sera peut-être permis de remarquer ici qu’anagramme n’a jamais été féminin que dans les dictionnaires. Il est masculin selon l’étymologie et le bon usage.