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nombre de ces signalements manifestes qu’un commentaire judicieux est obligé de faire connoître, se réduit à certains caractères bizarres, excentriques et véritablement originaux, comme ceux de Ménalque et de Théodas, dont on ne sauroit contester la ressemblance, malgré la charge un peu bouffonne qui l’exagère à dessein. Le reste est de pure convention, et il faut espérer qu’on nous épargnera désormais cet insipide fatras, dans une bonne édition classique du Théophraste françois.

Après des noms tels que ceux-là, je voudrois n’être pas obligé à citer celui d’un M. Choderlos de Laclos, Pétrone d’une époque moins littéraire et plus dépravée que l’époque où vécut Pétrone ; mais puisque les Liaisons dangereuses passent encore pour un ouvrage remarquable dans quelques mauvais esprits, il faut bien en dire quelque chose, et je ne sais jusqu’à quel point j’en ai le droit, car il m’a été impossible de les lire jusqu’à la fin. Peinture de mœurs, si l’on veut, mais de mœurs tellement exceptionnelles qu’on auroit pu se dispenser de les peindre, sans laisser une lacune sensible dans l’histoire honteuse de nos travers ; œuvre de style, si l’on veut, mais d’un style si affecté, si maniéré, si faux qu’il révèle tout au plus dans son auteur ce qu’il falloit de vide dans le cœur et d’aptitude au jargon pour en faire le Lycophron des ruelles, voilà les Liaisons dangereuses, dont un exemplaire en papier vélin, avec figures avant la lettre, se vend encore plus cher aujourd’hui que toute la Collection des moralistes. Il n’en seroit pas question dans ces pages fort écourtées qui ne sont peut-être que trop longues, si le livre des Liaisons dangereuses n’avoit aussi sa clef, ou plutôt s’il n’en avoit dix. Je ne crois pas avoir traversé une ville principale de nos provinces, où l’on ne montrât du doigt dans ma jeunesse un des héros impurs et pervers de ce satyricon de garnison, dont l’ennui, plus puissant que la décence et le goût, devroit dès long-temps avoir fait justice. On laissera sans doute au rebut ces clefs diffamatoires d’un ouvrage qui diffame la nature humaine, et qui ne mérite pas plus de commentaires que les hideuses spinthrées d’un émule effronté de M. de Laclos, M. de Sade, qui emporte sur lui le prix dégoû-