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besoin de clef pour pénétrer ce mystère ; mais chercher dans le Télémaque une satyre assidue et obstinée de la cour de Louis XIV, comme on l’a fait dans ces fameuses remarques critiques des éditions d’Angleterre et de Hollande, que le savant M. Brunet attribue à Henri-Philippe de Limiers, et que j’attribue à Jean Armand Dubourdieu (ce qui reste d’ailleurs fort étranger à la question), c’est quelque chose de plus que la conjecture hasardée d’un barbouilleur famélique, c’est une insigne profanation qui ne mérite point de pitié. Jamais l’insolente scribomanie des réfugiés n’était allée si loin, et il ne faut conserver le souvenir de cette atteinte sacrilége à un des plus beaux caractères de notre littérature que pour la flétrir d’une manière ineffaçable. Si l’on observe que Louis XIV avoit soixante-un ans quand le roman poétique de Fénélon parut, on jugera facilement de l’étrange à-propos d’un livre tout spécial qui auroit eu pour objet de détourner ce vieux Télémaque de l’amour d’Eucharis et des séductions de Calypso. Presque toutes les autres allusions sont de la même convenance et du même goût. Les commentaires du Gargantua, n’offrent qu’un tissu d’absurdités sans conséquence et sans danger. Le commentaire du Télémaque est une calomnie.

Les Caractères de La Bruyère ouvroient une carrière sans bornes aux conjectures les plus arbitraires. Comme le projet de l’écrivain étoit de peindre les mœurs de son temps, il avoit pris çà et là les traits épars dont il composoit ses portraits, pour leur donner tout ce qu’ils exigeoient de saillie et de relief ; et c’est ainsi qu’il devoit procéder, car il n’y a rien de plus rare que le type absolu et complet d’un caractère. Cependant comme l’anecdote étoit souvent personnelle, quoique le portrait ne le fût presque jamais, les fabricateurs de clefs satyriques trouvèrent sans peine à s’exercer sur un livre qui prêtoit de tant de côtés aux allusions malicieuses, et la piquante personnalité de ces interprétations contribua beaucoup à son succès. Il est cependant permis de penser, et c’est ma ferme opinion, que La Bruyère n’a pas connu le quart des personnages qu’on fait poser devant lui, et qu’il n’a pu avoir par conséquent l’intention de les désigner. Le petit