Page:Nodier - Dissertations philologiques et bibliographiques.djvu/27

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui ne nous sont point parvenues, car il avoit la manie d’écrire comme il en avoit le talent, et son Satyricon même est riche de ces pièces de rapport, extraites, sans égard à la connexion des matières et à l’unité du plan, du portefeuille d’un jeune auteur à l’esprit divers et fécond, qui ne s’est pas encore fixé sur sa direction et sur sa portée. J’admettrai donc volontiers que Pétrone a réellement composé quelque satyre sanglante de la cour de Néron, dont il étoit plus à portée que personne de connoître et de révéler les turpitudes, et que ce fut là le véritable motif qui le fit comprendre dans la proscription de Pison, pendant qu’il s’enivroit de molles délices dans sa campagne de Cumes ; mais cette satyre étoit certainement autre chose que le Satyricon qui est le roman lubrique d’un bel esprit dépravé, et qui n’est point une satyre. Le faux Satyricon nous est resté, parce qu’il n’offensoit que les mœurs ; le vrai Satyricon s’est perdu, parce qu’il offensoit Néron, et il n’y a rien de plus naturel. Quel Romain auroit osé conserver chez lui la copie d’une satyre contre Néron, pendant les deux années que Néron survécut à Pétrone, et qui empêchoit Néron d’anéantir jusqu’à la mémoire d’un écrit insultant, s’il s’en est soucié ? A-t-on oublié l’incendie de Rome ? Ce qu’il y avoit de difficile avant l’invention de l’imprimerie, ce n’étoit pas de faire disparoître un libelle ; c’étoit de préserver de l’oubli des siècles une œuvre de conscience et de génie. Les précautions excessives de l’empereur Tacite n’ont sauvé de la destruction qu’une foible partie des écrits de Tacite l’historien.

Une erreur considérable de Voltaire, c’est d’avoir porté son heureuse induction trop loin, en attribuant le roman de Pétrone à quelque libertin obscur des siècles postérieurs. Le roman de Pétrone n’a rien qui sente le libertin obscur ni la basse latinité : c’est la débauche d’un homme de cour extrêmement corrompu qui peint les mœurs du temps de Néron dans le meilleur style dont les contemporains de Néron aient pu se servir. Il n’y a qu’un homme d’un très grand monde et d’un esprit très cultivé qui soit capable d’allier au même degré les plus rares élégances de la parole aux plus infâmes hal-