Page:Nodier - Dissertations philologiques et bibliographiques.djvu/22

Cette page a été validée par deux contributeurs.

est un de ces artistes consommés auxquels les amateurs peuvent confier leurs livres les plus précieux avec une assurance qui ne sera jamais trompée. La solidité de sa construction, le bon goût de ses ornemens, la netteté et l’élégance de son exécution, la modération de ses prix le recommandent depuis long-temps à la librairie de luxe et aux propriétaires de collections choisies. M. Bauzonnet, plus spécialement connu des curieux, comme successeur de Purgold, qu’il a laissé bien loin derrière lui, ne paroît s’être dérobé aux honneurs de l’exhibition publique que pour y faire remarquer son absence ; car aucun relieur, je pense, ne seroit tenté de lui disputer la palme du talent. Koehler seul s’est montré digne de la partager, dans un chef-d’œuvre où il ne restera certainement pas sans récompense, et je m’en rapporterois volontiers, sur ce point, à Padeloup, à Derome, à Thouvenin, à Bauzonnet lui-même, car les hommes supérieurs ne connoissent point l’envie.

Koehler a voulu atteindre, dans son magnifique volume des Quatuor evangelia, à la riche perfection des reliûres anonymes du trésorier Grollier, que les bibliophiles couvrent d’or depuis cinquante ans dans les auctions de Londres, où il faut aller chercher aujourd’hui la plupart de ces opulentes merveilles. Il y a réussi, et je dirois davantage, si je n’étois retenu par mon respect religieux pour l’antiquité. Jamais le bon goût de la décoration, l’élégance et la pureté du dessin, le fini et la précision des dorures, n’ont été poussés plus loin, et je serois fort surpris qu’il existât, dans les meilleures bibliothèques de l’Europe, vingt œuvres d’art capables de contester la prééminence à celle-ci, qui, au moment où j’écris, enrichit probablement déjà le cabinet d’un monarque ou celui d’un agent-de-change. Cuique suum. On ne m’a pas dit si ce prodige de l’industrie françoise avoit été exposé ; mais cela n’est pas présumable, puisque les journaux n’en parlent point. Je connois le désintéressement des journaux, leur admirable esprit national, leur zèle consciencieux pour le progrès, et je suppose qu’ils parlent de tout ce qui est beau.