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vos enfants dans la crainte de Dieu et dans le mépris des fausses gloires ; faites des perruques, pour entretenir le cours de ce pichou riou tan argentat, que la réputation de votre fer à toupet fait couler dans votre boutique ! Faites des vers aussi cependant, quand votre journée est pleine, et qu’elle a gagné son pain ; faites des vers, puisque votre merveilleuse organisation poétique vous a donné ce talent ou imposé cette destinée ; faites des vers, et Dieu me garde que vous n’en fassiez plus, moi qui m’engagerois volontiers à ne plus lire que les vôtres. Rien ne prouve, je vous le dirai entre nous, et vous pourrez faire là-dessus des vers ravissants, que l’Apollo comatus de la mythologie, si soigneux de sa longue et blonde chevelure, n’ait pas été perruquier.

Je ne saurois le dissimuler. Il s’en faut pourtant de quelque chose que tout me charme également dans le recueil de Jasmin (et je parle ici de lui sans titre et sans façon, comme on parle de classiques). Jasmin s’est laissé entraîner au torrent qui entraîne les meilleurs esprits du siècle ; d’homme naturel et ingénu qu’il étoit, il s’est fait homme politique ; il a oublié que le patois, innocent de nos sophismes et de nos erreurs, ne devoit point de tribut aux sottes frénésies des partis. Ce n’est pas que je le blâme d’avoir chanté la liberté, et de l’avoir chantée en vers dignes d’elle, car la liberté, c’est un sentiment de poète ; et, sans avoir l’honneur d’être poète comme Jasmin, j’éprouve ce sentiment comme lui ; mais je ne suis pas maître d’un mouvement de dégoût et d’effroi, chaque fois que j’entends prononcer le nom de cette muse, depuis qu’il est devenu le mot d’ordre d’une poignée de charlatans altérés d’or ou de vampires altérés de sang ; et j’ai toujours peur que l’écrivain, sincère ou non, qui m’impose son enthousiasme d’inspiration ou de commande, ne soit, pour me mystifier, la dupe ou le complice des tar-