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de ces deux ou trois années de perfection presque achevée qui le consumèrent, et pendant lesquelles il s’est reporté avec un habile courage aux beaux jours de Derome, de Padeloup, de Deseuille, d’Enguerrand, de Boyer, de Gascon, pour les surpasser en les imitant. Les noms que je viens de citer sont ceux des maîtres de cet art, qui a cela de particulier, qu’il n’a pas produit jusqu’à nous plus de trois excellens ouvriers par siècle.

Thouvenin est mort quand il arrivoit au plus haut degré de son talent ; Thouvenin est mort en rêvant des perfectionnemens qu’il auroit obtenus, qu’il auroit seul obtenus, peut-être ; Thouvenin est mort pauvre, comme tous les hommes de génie qui ne sont pas hommes d’affaires, et qui tracent le chemin du progrès, sans le fournir jamais jusqu’au bout. Il n’est pas arrivé une seule fois, depuis le commencement des siècles, que la Terre promise s’ouvrît à celui qui l’avoit devinée.

Mais la reliûre n’est pas descendue tout entière dans le tombeau de Thouvenin. Son exemple a inspiré d’heureuses émulations ; son école a formé d’industrieux élèves ; son art, au point où il l’a ramené, est de tous les arts du pays celui qui reconnoît le moins de rivalités en Europe. L’Angleterre elle-même, qui nous étoit encore si supérieure en ce genre, il y a moins d’un quart de siècle, ne soutient aujourd’hui avec nous une espèce de concurrence que dans le choix des matières premières, dont une avare et mal-adroite prohibition nous interdit l’usage. C’est ce qu’a prouvé avec éclat la dernière exposition des produits de l’industrie ; et je rendrois justice avec plaisir aux heureux talens qu’elle a fait briller, si un juste sentiment de convenances ne me défendoit d’empiéter sur le domaine d’un de mes collaborateurs. J’ai tout au plus le droit de me joindre à lui pour prêter une foible autorité de plus au jugement qu’il a porté des travaux de M. Simier, qui justifie de plus en plus la réputation acquise à son nom par son honorable père, un des premiers restaurateurs de la reliûre françoise.

Parmi les relieurs qui n’ont pas exposé au concours de 1834, il en est deux dont la modestie me laisse plus de latitude, et que je ne passerai pas sous silence. M. Ginain