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mes et assoupli les difficultés. Ce qu’on peut lui reprocher sans lui faire tort, c’est un luxe intolérable d’imagination, un abus fastidieux de l’esprit, un mélange hibride et pénible de pédantisme et de mauvais ton, qui accuse une éducation inachevée. Accordez-lui le goût que lui auroient accordé l’âge et la réflexion, et Bergerac, vieilli de quinze ans, sera un des écrivains les plus remarquables de son siècle. Tenez-lui compte au moins de ce qu’il a fait. Seroit-ce un homme si méprisable que celui qui a donné le Gilles à la farce dans Pasquier, le Scapin à la comédie dans Corbinelli, le paysan dans Mathieu Gareau, des scènes charmantes à Molière, des types à La Fontaine, et quelquefois, dans de belles scènes d’Agrippine, un digne rival à Corneille ? Vous savez déjà ce que lui doivent Fontenelle, Swift et Voltaire. Quant à ce livre qu’il écrivit quand il étoit déjà fou, ne vous étonneroit-on pas un peu en vous disant qu’on y trouve plus de vues profondes, plus de prévisions ingénieuses, plus de conquêtes anticipées sur une science dont Descartes débrouilloit à peine les éléments confus, que dans un gros volume de Voltaire, écrit sous la dictée de la marquise du Châtelet ? Cyrano a fait de son génie l’usage qu’en font les étourdis, mais il n’y a rien là qui ressemble à un fou.

Ch. Nodier.