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sobriquet de Comte de Permission et de Chevalier des ligues des XIII cantons suisses. Je présume que le Comte de Permission usurpoit comme tant d’autres ces hautes distinctions nobiliaires, sans permission du roi et de monseigneur le chancelier. Elles ne lui furent cependant pas plus contestées que celle de Prince des sots à Nicolas Joubert dit Engoulevent. En fait de titres de noblesse, les fous et les sots ont toujours joui d’une grande latitude en France. L’usage de ces immunités n’a pas même beaucoup périclité en apparence, depuis que les révolutions nous ont donné l’égalité civique. Les sots et les fous avoient pris l’habitude de passer devant de leur plein pouvoir, et je ne crois pas qu’ils l’aient perdue. La raison n’y peut rien. Il faudroit élargir Vanvres, ou réformer le monde.

Bluet d’Arbères avoit un grand avantage sur les fous de notre époque. Il étoit admirablement naïf. Dès l’Intitulation et Recueil de toutes ses œuvres, il vous avertit « qu’il ne sçait ny lire ny escrire, et n’y a jamais apprins. » Excellent Bluet d’Arbères qui se fait auteur sans savoir ni lire ni écrire, et qui en prévient amiablement le public, comme d’une chose toute naturelle ! Homme digne de l’âge d’or, et que tous les âges envieront à la première année du XVIIe siècle ! On n’y fait plus tant de façons.

La première pensée qui me seroit venue en ouvrant le livre d’un homme qui ne sait ni lire ni écrire, et qui l’avoue avec candeur, c’est qu’on pouvoit y trouver quelques-unes des idées sensées, des révélations ingénues, des expressions pittoresques et vigoureuses que la lecture et l’écriture nous ont fait perdre. Quand on a, pour faire un volume de ses œuvres, l’immense avantage de ne savoir ni lire ni écrire, on est presque maître dans la pensée, et j’imagine qu’il ne faut plus que vouloir pour remuer puissamment le monde. Bluet d’Arbères n’eut pas l’esprit de profiter de son ignorance. Il est pres-