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cieuse et frivole science des livres. Je leurs taillerois une tout autre besogne en leur proposant de s’occuper de la Bibliographie des sots. Cela, c’est la mer à boire.

L’histoire littéraire des anciens n’enrichiroit pas beaucoup la nomenclature des fous qui ont écrit, puisque nous n’y admettons ni les poètes ni les philosophes. La folie même étoit de leur temps une maladie rare ou peu connue, à moins qu’elle ne se soit sauvée alors de la déconsidération où elle est tombée aujourd’hui, sous quelque sobriquet honorable. On enverroit maintenant Diogène aux petites-maisons, et les Abdéritains, plus sages qu’Hippocrate, faillirent y envoyer Démocrite. C’est une chose admirable que d’être né à propos.

Il y avoit d’ailleurs dans l’antiquité une puissance éminemment sociale qui maintenoit de siècle en siècle dans un constant équilibre l’intelligence des peuples, et qui affranchissoit chaque génération nouvelle des aberrations les plus grossières de la génération passée. L’absurde n’avoit qu’un temps. Cette puissance, tombée en désuétude, palladium gothique des polices humaines, s’appeloit le sens commun. Il résultoit de là que la folie ne vivoit que l’âge d’un fou, et qu’elle ne s’étendoit point aux âges suivants comme une contagion triomphante, car la presse n’étoit pas inventée. Aux jours où nous vivons, le livre remplace l’homme, et s’il fait vibrer par hasard une corde irritable de l’imagination ou du cœur, il devient thaumaturge et sectaire comme le fou qui l’a écrit. Depuis Gutenberg et les siens, l’astrologie judiciaire a régné deux siècles, l’alchimie deux siècles, la philosophie voltairienne un siècle, et je ne répondrois pas qu’elle fût morte. Il n’y en auroit pas eu pour vingt-cinq ans à Rome. Il n’y en auroit pas eu pour cinq ans du temps