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ni le temps. L’Académie avoit à composer le Dictionnaire de la langue usuelle, à l’éclaircir par des définitions judicieuses, à rendre ces définitions sensibles par des exemples familiers, mais correctement exprimés. C’est ce que l’Académie a fait, et j’ai déjà dit que si elle avoit fait autrement, on ne parleroit plus de son Dictionnaire qui est resté règle de langue, et principium et fons. Il seroit usé aujourd’hui comme les folles étymologies de Court de Gébelin, comme les nomenclatures caduques de Tournefort et de Macquer.

Dans les langues plus qu’ailleurs, et mille fois davantage, le mieux est ennemi du bien. Les améliorations systématiques anticipent sur leur vieillesse, hâtent leur décadence, et précipitent leur chute. Les ambitions de l’intelligence ont cela de commun avec toutes les ambitions, que, parvenues sur le faîte, elles aspirent à descendre. Il n’y a point d’innovation, même dans la forme de la parole, qui ne lui ait porté plus de préjudice qu’une invasion de barbares. Si Omar a brûlé les bibliothèques, je vois peu de différence entre lui et Lycophron dont la phraséologie capricieuse les rendoit inutiles, et je donnerois volontiers l’avantage au soldat sans lettres qui détruit les monuments les plus précieux d’une littérature, sur le lettré sacrilège qui les profane. C’est pour cela que je ne saurois approuver cette déplorable innovation d’orthographe, accréditée par la presse ignorante, et qui vient d’être sanctionnée par l’Académie sous l’autorité de Voltaire. Voltaire est le plus ingénieux et le plus brillant des écrivains de notre dernière période littéraire, mais c’étoit un esprit absurde en grammaire, comme dans toutes les sciences exactes ou philosophiques auxquelles il a osé toucher. Il falloit le laisser au seuil des sciences avec sa double couronne de poète et de prosateur. C’est une faute irréparable que de l’avoir sui-