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liste, et je conviens que toutes ces difficultés, mises ensemble, excéderoient de beaucoup mes forces, si le ministère de l’homme de lettres n’avait pas de secrètes grâces d’état pour un écrivain de bonne foi. Ce que j’ai pensé, je le pense encore, et je le dirois maintenant comme je l’ai dit, si j’avois à le dire.

Il n’existera jamais de dictionnaire parfait dans une langue imparfaite, ou, pour m’exprimer plus largement, un dictionnaire irréprochable est un ouvrage impossible dans une langue qui n’est pas fixée, et nulle langue n’est fixée tant qu’elle est vivante. Il en est de la parole de l’homme comme de sa réputation et de son bonheur dont, suivant l’expression de Montaigne, on ne peut juger qu’après sa mort.

Un dictionnaire est cependant un livre utile, un livre indispensable, un livre de tous les moments. Sans dictionnaire, il n’y a que vague dans les mots, dans les acceptions qui sont l’esprit des mots, dans l’orthographe qui en est la raison. Les nations ont besoin de dictionnaires sous peine de ne pas s’entendre dans leur propre langage, et elles n’y sont que trop disposées ; mais il ne faut demander aux dictionnaires que ce qu’ils peuvent donner, et le pouvoir relatif du lexicographe a des bornes très étroites, parce que sa tâche n’en a point. Le meilleur des dictionnaires possibles, c’est donc seulement le moins mauvais.

On a fait contre la première édition du Dictionnaire de l’Académie trois critiques spécieuses qui valent la peine d’être discutées. On a reproché à l’Académie d’avoir dédaigné l’étymologie des mots, de ne s’être pas tenue au courant des nomenclatures scientifiques et industrielles, de ne s’être pas appuyée de citations empruntées aux écrivains accrédités de son temps. On y ajoutoit alors le reproche plus légitime selon moi, mais je suis seul au-