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choisir entre le présent et le passé, l’innocent Janotisme de Dorvigny, si naturel, si naïf, si populaire, si bien fait d’après le modèle, qu’on le croiroit sténographié sous la dictée d’un badaud ingénu, malheureux en inversions : « Il en avoit de beaux, mon grand père, des couteaux (Dieu veuille avoir son âme !) pendus à sa ceinture dans une gaîne. » Combien je le préférerois à ces ergotismes menteurs avec lesquels tous les partis mystifient les nations à tour de rôle, et dont on n’aura le bon sens de rire qu’après en avoir long-temps pleuré ! Quant au Janotisme, il est presque inutile de dire que ce genre de ghiribizzi ne pouvoit s’introduire dans les langues transpositives, où la construction est toujours marquée par la désinence, et qu’il n’y en a par conséquent aucun exemple chez les anciens. Des langues de non-sens philosophique, je n’oserois pas en répondre ; et Lycophron est là pour leur assurer l’initiative des langues de non-sens littéraire ; Lycophron, le Burchiello solennel, le grave et pompeux Bruscambille de l’école alexandrine.

La langue arbitraire et protée des nomenclaturiers mérite peut-être une place d’honneur à côté de celles-ci, mais il faut bien se garder de lui en donner une dans les dictionnaires où elle noieroit avant peu la langue usuelle sous un déluge d’anomalies inutiles. Il sembleroit, à voir ses invasions polyglottes, que tous les idiomes de l’homme sont condamnés à mourir de mort comme l’homme lui-même, pour avoir goûté du fruit de la science. La naturalisation de tout mot scientifique, qui n’est pas de relation, disons mieux, qui, sous l’autorité respectable d’une relation fidèle, n’a pas été consacré dans la langue choisie par la plume d’un grand écrivain, ou dans la langue vulgaire par l’adhésion intelligente de l’usage, est un progrès vers le chaos.