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DE LA RELIURE
EN FRANCE
AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE,
PAR M. CH. NODIER.


Si mon lecteur redoute la chaleur, la cohue, et l’émulation importune des industriels entassés à grands frais dans une foire-modèle, dans un bazar-monstre, il peut se rassurer tout de suite. Je ne le conduirai point à l’exposition des produits de l’industrie. Je serois un fort mauvais guide pour lui dans ce pays-là, et il peut m’en croire sur parole, car l’espèce quotidienne de littérature à laquelle j’appartiens n’est pas sujette à se décrier aux enchères. C’est que je n’entends rien du tout à l’industrie, et que Dieu m’a placé fort à propos dans un siècle où elle n’a presque plus rien à produire. Je n’aurois pas avancé sa besogne.

Il m’est rarement arrivé d’égayer mon esprit aux chants de l’alouette, dans mes promenades matinales, sans me sentir tout à coup tourmenté d’une profonde angoisse de cœur à la pensée des piéges qui lui sont tendus par l’oiseleur, et surtout de ces cristaux insidieux et mobiles où se reproduit à ses yeux trompés l’image multipliée du soleil. Douce et gentille alouette, ô toi qu’a chantée Ronsard dans des vers qu’on ne surpassera point, aimable oiseau que la nature semble n’avoir formé que pour le ciel en lui refusant la faculté commune à tous les autres, de percher sur les ramées, combien ton aimable vie, toute nourrie d’harmonie et de lumière, se serait épanouie joyeuse et libre, si l’intelligence enfantine et bienveillante des premiers âges ne s’étoit jamais élevée au-dessus de la portée de la mienne ! Que tu serois heureuse, dans tes sillons voilés d’épis, vive et charmante créature, si tu n’avois à craindre que les milans !

Ceci veut dire que je suis essentiellement incapable d’inventer le simple mécanisme du miroir d’alouettes, et que je ne le retrouverois certainement pas s’il était perdu. Pauvres alouettes, que Dieu vous garde !