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sérables victimes de la chicane, qui dissipoient du moins leurs derniers écus dans une oublieuse sécurité à l’enseigne de la Galère ou à celle de l’Eschiquier.

Les courtisans que leur ambition ou leurs affaires retenoient trop long-temps au Louvre, trouvoient bon gîte et chère lie chez la Boisselière, mais ce n’étoit pas aubaine pour les poètes et pour les enfants sans-souci. La Boisselière ne faisoit jamais crédit, et l’on ne dînoit pas chez elle à moins de dix livres tournois, somme inconcevable pour le temps.

Les Trois Entonnoirs près des Carneaux se distinguoient par leur excellent vin de Beaune, celui des vins de France dont on faisoit alors le plus de cas, et que certains gourmets estimoient hardiment à l’égal de ceux d’Espagne et d’Italie.

Du côté du Mail, il falloit choisir entre l’Escu et la Bastille ; mais l’Escharpe étoit la plus choyée des tavernes du Marais. C’est l’hôte de ce logis délicieux, homme de progrès s’il en fut, qui a inventé les cabinets particuliers. La civilisation commençoit à marcher. C’est l’année qui précéda le Cid. Cette sublime création (je parle de l’invention des cabinets particuliers) fit négliger jusqu’à l’Hôtel du Petit-Saint-Antoine, si connu par la facilité de ses plaisirs, jusqu’aux Torches si bien famées du cimetière Saint-Jean, jusqu’aux Trois Quilliers de la rue aux Ours, qui avoient bravé, pendant une longue suite d’années, toute espèce de comparaison. Ainsi passent les gloires du monde.

J’ajouterai, pour la satisfaction des buveurs d’eau, qu’à cette époque, éminemment remarquable dans les fastes de notre statistique parisienne, remonte l’abandon presque total des nayades du puits de Bourgogne, et même du puits Sainte-Geneviève, malgré l’efficacité des sources salutaires où celles-ci avoient caché un remède