Page:Nodier - Dissertations philologiques et bibliographiques.djvu/130

Cette page a été validée par deux contributeurs.

insignes et frivoles raretés. L’exercice dont ce travail amusera leur oisiveté, sera probablement le seul avantage qu’ils tireront de leurs inutiles trésors ; ceci soit dit sans blâme pour une manie gracieuse et innocente qui en vaut toutefois bien d’autres.

Mais l’acrostiche étoit quelquefois enveloppé de ténèbres moins visibles, et je rapporterai à ce sujet une petite anecdote qui éclaircira ce singulier artifice. Il n’y a pas long-temps que je découvris chez un de ces libraires de province dont toute l’érudition se borne à la connoissance de quelques titres (on sait bien qu’il n’en est pas de même à Paris), un exemplaire de l’édition originale du Songe de Poliphile, Hypnerotomachia Poliphili, et que je m’extasiai sur cette célèbre merveille de la typographie et de la gravure en bois ; elle rappeloit à mon bibliopole un autre sujet d’admiration sur lequel il ne tarissoit pas de louanges. Il avoit connu, mortel fortuné ! un savant si versé dans l’étude des livres antiques et si sûr de sa mémoire, qu’il pouvoit nommer d’avance la lettre initiale de chaque chapitre : « Cette faculté nest pas si rare que vous le pensez, interrompis-je froidement, et je serai assez fier de vous inspirer le même enthousiasme pour m’exposer à la même épreuve. » Je m’en tirai en effet de fort bonne grâce, au grand étonnement de ce bon homme, qui m’écoutoit la bouche béante, quelque peu confus, je le suppose, de trouver un ménechme intellectuel au Pic de la Mirandole du département. « Ce n’est pas tout, poursuivis-je, et nous allons recommencer l’expérience qui vous surprend si fort, sur le premier livre venu. » Je prie le lecteur d’être bien persuadé que je ne me serois pas permis cette gasconnade bibliographique, si je n’avois eu la main sur les Bigarrures du Seigneur des Accords. Ma seconde démonstration n’eût rien à envier à la première, et bien