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pour te déguiser, qui fais ordinaire traffique, banque et marchandise d’éveschez et de benefice, qui ne vois rien de sainct que tu ne souilles, rien de chaste que tu ne violles, rien de bon que tu ne gastes. L’honneur de ta sœur ne se peut garentir d’avec toy. Tu laisses ta robe, tu prens l’espée pour l’aller voir. Le mary ne peut estre si vigillant que tu ne decoyves sa femme ; etc. » La malheureuse dame dont il est question ici ne seroit-elle pas Anne d’Est, femme de François de Lorraine, duc de Guise, belle-sœur et non sœur du cardinal, ce qui diminueroit au moins un peu l’horreur de cet inceste ? C’est un doute que j’abandonne à regret aux muses spinthriennes qui explorent sur nos théâtres les débauches et les turpitudes des vieilles cours.

La même inexactitude existe encore sur l’auteur de l’ouvrage qui a eu, comme on vient de le voir, d’excellentes raisons pour ne pas se faire connoître. Bayle, qui ne paroît pas avoir vu ce rarissime libelle, l’attribue à François Hotman, et s’il l’avoit vu, il auroit insisté sans doute avec une conviction mieux établie sur sa conjecture, car je ne crains pas de dire qu’il n’y avoit peut-être que François Hotman alors qui fût capable de s’élever dans notre langue aux hauteurs de cette véhémente éloquence. Là se trouvent, et presque pour la première fois, quelques-unes de ces magnifiques tournures oratoires qu’un génie inventeur pouvoit seul dérober d’avance au génie de Corneille, de Bossuet et de Mirabeau : « Tu fis tant par tes impostures que, sous l’amitié fardée d’un pape dissimulateur, ton frère aîné fut fait chef de toute l’armée du roi. » — « Je connois ta jeunesse si envieillie en son obstination et tes mœurs si dépravées, que le récit de tes vices ne te sauroit émouvoir. » — « Si tu confesses cela, il te faut pendre et étrangler ; si tu le nies, je te convaincrai. » — Cicéron lui-même n’a pas de traits qui ne le cèdent à ceux-ci en vigueur et en bonheur d’expression. François Hotman étoit d’ailleurs en Alsace, pour ses missions d’Allemagne, dans l’année 1560 ; or, le libelle a été certainement imprimé à Strasbourg ou à Basle, et on ne sait dans laquelle de ces deux villes, Jacques Estauge, imprimeur à Basle en 1562, avait d’abord établi ses presses. Ce dont il est impossible de douter, c’est que l’Épitre au Tigre est sortie