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leurs faveurs les privilèges d’un art sublime. Sixte IV avoit décerné à Jenson le titre de comte Palatin ; Philippe II témoigna qu’il ne connoissoit rien au-dessus de celui d’imprimeur, en nommant Christophe Plantin son architypographe ; on avoit vu souvent François Ier, debout et silencieux dans l’atelier de Robert Estienne, attendant pour lui parler qu’il eût corrigé une épreuve. Cela est un peu changé de nos jours, et il faut convenir, pour être juste, que ce n’est pas seulement la faute des rois.

La seconde partie de cette comparaison est moins agréable à écrire, et je m’en désisterois tout à fait si je pouvois craindre que le lecteur n’y établit pas de lui-même quelques-unes de ces rares exceptions qui servent d’ailleurs à confirmer les règles générales. L’imprimeur, pris au hasard dans les généralités dont je parle, n’est plus cet ingénieux explorateur des œuvres de l’esprit que nous avons vu tout-à-l’heure. Ce n’est plus même un ouvrier soigneux, jaloux de porter à un certain degré de perfection relative une besogne consciencieuse. C’est un monopoleur à brevet qui vend de sales chiffons hideusement maculés de types informes à quiconque est assez sot pour les acheter. N’essayez pas de réveiller en lui un juste sentiment d’orgueil en lui rappelant les glorieuses origines de la typographie, car il ne sait pas au juste si elle date de Jules César ou de Charlemagne. Ne lui demandez point son opinion sur le manuscrit ancien ou récent qu’il livre à ses manœuvres. Il a de bonnes raisons pour ne pas vous en informer ; c’est qu’il n’a jamais étudié ni le grec, ni le latin, ni l’orthographe même du méchant patois que le libraire son voisin, ou si vous voulez son complice, a payé pour du françois. Ces deux honnêtes gens n’ont pour objet, ni l’un ni l’autre, le progrès des lumières et l’avantage des lettres. Ils n’attachent pas plus d’importance, l’un au perfectionnement matériel de son art, l’autre à l’illustration morale de son négoce. C’est pour gagner le plus d’argent possible que celui-ci achète à vil prix un mauvais fatras qu’il fait prôner plus chère-