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la Flandre, Érasme de la Hollande, Chalcondyle de la Grèce ; il s’environnera de toutes les célébrités contemporaines pour concourir à des travaux qui lui assurent l’immortalité. Ce n’est pas tout. Riche des trésors du passé, il leur devra une consécration digne d’eux dans les œuvres de l’art miraculeux qu’il pratique, et son but n’est atteint qu’à moitié, si le volume sorti de ses presses, ne va pas frapper l’avenir d’étonnement et d’admiration. Pour réussir dans ce projet glorieux, il choisira parmi les écritures antiques celle dont le caractère, tracé avec amour par le pinceau du calligraphe, joint au plus haut degré l’élégance et la netteté ; il en fixera la figure, il en assortira les proportions, et il confiera la gravure de ses poinçons précieux à l’habile burin d’un Nicolas Jenson, d’un François de Bologne ou d’un Claude Garamond. Ces beaux types, relevés par l’éclat d’une encre pure, brillante, indélébile, charmeront, dans dix siècles encore, les regards de nos descendants, grâce au papier souple, élastique, retentissant, presque inaltérable qui en a reçu l’empreinte, sous un tirage dont l’harmonieuse régularité feroit croire que toutes les feuilles, frappées du même coup de barre, ont passé à la fois de la planche au séchoir. Tant de soins, de travaux et de frais aboutissoient rarement à la fortune ; car ces dispendieux chefs-d’œuvre de typographie, consacrés à l’utilité publique par le plus noble désintéressement, ne rendoient au docte artisan que de modiques bénéfices ; mais qu’importoient les douceurs d’une fortune oisive et stérile à qui savoit vivre honorablement de son labeur, et en léguer l’amour à ses enfants comme le plus fructueux des héritages ? L’imprimeur n’avoit point alors en vue pour son fils les hautes fonctions de la finance, de la magistrature ou du gouvernement. Il lui laissoit en apanage, ses presses et son insigne, son savoir et sa renommée ; et telle étoit la dignité de sa profession qu’un prénom illustré se transmettoit d’âge en âge dans sa famille, sous un chiffre d’ordre, à la manière des dynasties princières. Les souverains eux-mêmes relevoient de leurs protections et de