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qui le condannent à estre pendu et estranglé en la place Maubert, et au lieu mesme où auoit esté attaché cest imprimeur. Quelques iours après, du Lyon se trouvant à soupper en quelque grande compagnie, se mit à plaisanter de ce pauvre marchant. On lui remonstra l’iniquité du iugement par ses propos mesmes. Que voulez-vous ? dit-il, il faloit bien contenter monsieur le cardinal de quelque chose, puis que nous n’auons peu prendre l’autheur ; car autrement il ne nous eust iamais donné relasche. »

C’est ainsi que le peuple entend les libertés politiques du pays quand il est souverain, ou, pour parler plus exactement, quand il se croit souverain, sous la domination des scélérats qui exploitent ses passions, pour les faire servir au succès de leur ambition ou à l’exécution de leurs vengeances. J’ai conservé soigneusement l’orthographe antique de cette page d’histoire, afin d’éviter à mon lecteur quelque méprise de chronologie. Et en effet, au lieu des hommes à robe longue, mettez des hommes à veste courte, Fouquier-Tinville à la place de du Lyon, et Marat à la place du cardinal de Lorraine ; le récit que je viens de vous faire datera de l’an II de la république.

Le passage de Brantôme est heureusement plus explicite, en ce qui concerne le livre même, bien qu’il ne paroisse pas que ni Brantôme, ni Regnier de la Planche, ni Bayle qui les copie tous les deux, en aient jamais vu d’exemplaire : « Il y eut force libelles diffamatoires, dit-il, contre ceux qui gouvernoient alors le royaume ; mais il n’y eut aucun qui picquât plus qu’une invective intitulée le Tigre (sur l’imitation de la première invective de Cicéron contre Catilina), d’autant qu’elle parloit des amours d’une très grande et belle Dame et d’un Grand son proche : si le galant auteur eût esté appréhendé, quand il eût eu cent mil vies, il les eût toutes perdues : car et le Grand, et la Grande en furent si estomaquez, qu’ils en cuidèrent désespérer. »[1]

On voit que Brantôme plus retenu en cette occasion qu’à son ordinaire, soit qu’il eût encore quelque raison de modé-

  1. Vie des dames galantes. Leyde, Sambix, 1666, t. 2, p. 467.