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malheur de parler des patois comme le Midi, car telle seroit la conséquence logique de cet énorme considérant ? Faut-il lui faire savoir, ou lui rappeler, que le patois, c’est la langue du pays ; que nous avons des patois, nous autres, comme les gens de Cahors ; que La Fontaine les parloit avec plaisir et La Monnoye avec esprit ; que ces patois, fort inférieurs en grâce et en énergie à celui dont ils font si bon marché, ont cependant pour le moins autant d’énergie et de grâce que sa langue municipale, et que les bons esprits dont il nous fait peur, pèchent singulièrement par l’esprit s’ils ont avancé autre chose ? À considérer le patois comme un obstacle au progrès littéraire, il n’y a véritablement pas de raison pour que les écrivains du Nord l’emportent de beaucoup sur Montesquieu, Montaigne et Rabelais.

Ce que d’excellens esprits ont soutenu, c’est que si la langue d’Oc avait prévalu, celle que nous parlons seroit peut-être plus élégante, et plus harmonieuse, et plus riche ; c’est que nous n’en aurions pas moins Racine, Molière et Fénélon, avec quelque attrait de plus que notre dialecte sourd et muet leur a refusé. C’est l’avis de tous ceux qui se connoissent au méchanisme de la parole et du style, en exceptant, comme de raison, le comité d’arrondissement de Cahors. Et comprenez, s’il est possible, quelque chose de plus accablant pour la pensée que cette délibération ! C’est que si le comité d’arrondissement de Cahors qui avoit le choix, s’étoit ingéré de supprimer administrativement dans tout le territoire de 362 lieues carrées qu’il éclaire de ses lumières, en vertu de ses brevets et des privilèges de l’université, l’usage du françois vulgaire, il auroit fait une chose mille fois plus patriotique, mille fois plus méritoire, mille fois plus rationnelle. — Je ne le lui conseille pas.

Non, messieurs, je vous le jure ! vous ne supprimerez pas les patois, vous ne supprimerez point de langues ! Les langues ! elles meurent à leur jour comme les rois, comme les dynasties, comme les nations, comme les mondes et les soleils, comme les comités d’arrondissement ;