Page:Nodier - Dissertations philologiques et bibliographiques.djvu/102

Cette page a été validée par deux contributeurs.

COMMENT LES PATOIS
FURENT DÉTRUITS EN FRANCE.
[PAR M. CH. NODIER.]
CONTE FANTASTIQUE.


Voici une des nouvelles les plus extraordinaires qui aient jamais été annoncées à un peuple civilisé.

Ce n’est ni l’éclipse, ni la comète, ni un volcan qui s’ouvre en grondant, ni un déluge qui déborde, ni la subite apparition d’un monde qui surgit comme l’Amérique de Colomb, ni l’anéantissement d’un peuple éteint, comme l’Atlantide de Platon.

C’est vraiment bien autre chose : c’est l’abolition d’une langue, du verbe incarné dans la parole de l’homme, de cette explicite intelligence qui lui a été communiquée par Dieu, pour le distinguer du reste de ses créatures. C’est le souffle immortel qui vous a donné le langage, étouffé de par Restaut, Wailly et Lhomond, sauf l’approbation de l’Université.

À compter de l’autre jour, il n’y a plus de patois en France, vingt-cinq millions de François sont intrépidement destitués de leurs idiomes naturels pour parler comme vous et moi. Vous me direz que ce n’est pas grand’chose, mais c’est de la perfectibilité.

Non, il n’y a plus de patois. Ce langage naïf et doux qui nous venoit de nos mères, de nos nourrices, de nos premiers amis du village natal, et que nous avions tant regretté de perdre, quand la première simplicité en fut déflorée dans nos écoles, par le purisme ricaneur des pédants ; cet idiome joli et fin qui suppléait avec tant de