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Initié par une lecture immense à tous les trésors des littératures étrangères et aux trésors oubliés de la littérature françoise, Nodier sait les trouvères, le Pogge, Rabelais, Cazotte, Chaucer, Prior, Hoffmann, Tieck, Voltaire et Goethe ; et cependant à côté de tant de maîtres il garde une place tout à fait à part, et conserve un cachet particulier. Pour surprendre à Rabelais les secrets de son étonnant langage, il copie trois fois de sa main Pantagruel et Gargantua, et de cette étude, que le cynisme élevé à la puissance du génie rend souvent périlleuse, il ne garda qu’un sentiment finement railleur, mais encore bienveillant. Il en est de même de ses études sur l’Allemagne ; il reste Athénien dans ses voyages chez les Scythes, et l’inspiration germanique, en touchant avec lui la terre françoise, échange sa bizarrerie native contre une gracieuse originalité.

Écrits à de longues distances, dispersés de toutes parts, les Contes de la Veillée se rattachent néanmoins dans leur variété multiple à un ordre de sentiments et de pensées qui sont comme le fonds inaliénable du talent de Nodier. Dans les Souvenirs de la Révolution, il se range de préférence du côté des vaincus et des victimes. Dans les Contes de la Veillée, il se passionne pour Jean-François-les-Bas-Bleus, le pauvre idiot de Besançon ; pour Baptiste Montauban, le rêveur attristé, à la blanche et gracieuse figure : Jean-François et Baptiste, les pauvres d’esprit de l’Évangile, que la société repousse parce qu’ils vivent absorbés dans leurs rêves, l’un regardant le ciel, l’autre nourrissant des oiseaux, et que Nodier adopte comme des amis parce qu’ils sont inoffensifs et doux, et que la bonté peut-être vaut mieux que la raison ! Dans Lidivine, dans les Aveugles de Chamouni, il nous intéresse encore à ces humbles destinées, ignorées du monde, et sanctifiées par la souffrance ou le dévouement. Écrivain politique, il flétrit avec éloquence les cruautés des partis ; conteur, il reprend, à propos d’Hélène Gillet, son éloquent plaidoyer en faveur de l’abolition de la peine de mort ; car nous devons rappeler à sa gloire qu’il fut chez nous l’un des premiers écrivains qui préparèrent la révolution contre l’échafaud. La beauté, la vertu éveillent en lui des sympathies mystérieuses. Pour peindre la nature, les champs, la jeunesse, les fleurs, il sait des mots frais comme la jeunesse et gracieux comme les fleurs, et son imagination s’attendrit sans cesse de la mélancolie du poëte. Quand l’art, infidèle à sa mission, semble trop souvent de nos jours s’attacher à la reproduction des types flétris, il est doux de retrouver dans