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cier. Si vous joignez à cela des cheveux sans poudre, coupés d’assez près sur le front, et tombant de quelques pouces sur mon collet et mes épaules, vous vous formerez une idée fort exacte de Jacques Cazotte ou d’un étudiant hibernois.

Je n’avois contracté aucune relation intime dans la haute société. Ce n’est pas là qu’on va chercher des amis. Les gens de cet étage ont trop à faire pour prendre le temps d’aimer. Les personnes mêmes qui m’avoient vu le plus souvent, ne m’auroient d’ailleurs pas reconnu, et je m’en félicitois, car je ne souhaitois nullement de les revoir. J’étois heureux, et je savois que j’étois heureux ! Avantage inappréciable et rare sans lequel tout bonheur n’est qu’une chimère.

Je me complaisois alors si délicieusement dans la douce liberté que je m’étois faite, je mettois si bien à profit les heures de la journée, qu’elles me paroissoient toujours trop courtes, et que je me serois plaint au sommeil de venir me troubler dans la jouissance de mes illusions, si les songes qu’il m’apportoit ne me les avoient souvent rendues. Je craignois de voir les hommes aux dépens de la volupté inexprimable que j’éprouvois à goûter ma pensée, et les ombrages n’étoient jamais assez épais à mon gré, les retraites les plus profondes n’étoient jamais assez obscures pour me soustraire à leur rencontre, pour me cacher dans les palais de mon Ginnistan, bien loin, bien loin de leur passage, avec mes sylphes et mes fées. C’est que la moindre distraction dissipoit mes enchantements, comme le chant d’un oiseau trop matinal disperse, au lever du soleil, les esprits gracieux qui se jouent sur l’oreiller ; comme l’atome égaré dans l’air où il nage imperceptible brise et dissout, en la touchant, une bulle de savon plus limpide que le diamant et plus radieuse que l’arc-en-ciel. C’est que la création m’appartenoit, une autre création vraiment que celle que vous connoissez, bien plus variée en